— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Ces temps-ci, la Martinique donne l’impression d’avoir du mal à faire des choix . Est-ce toujours dur de choisir la voie de la raison ? On est toujours habités de cette idée qu’il faut faire le bon choix, qu’il ne faut pas se tromper. Choisir, c’est aussi penser aux conséquences de ses actes.
A l’orée de l’année 2020, le projet départemental en vigueur depuis 1946 semble plus fragile que jamais. En Martinique, depuis quelques temps, la situation politique, économique et sociale est très tendue. Alors se pose désormais la question : vers quoi allons nous dans ce désordre ambiant ?
La départementalisation a-t-elle failli à ses promesses? Notre modèle de société issue de la départementalisation a-t-il encore un avenir ? Dans une société qui éprouve des difficultés à débattre sereinement de son modèle de développement, de la place accordée à ses entreprises, et à anticiper les évolutions en cours, il est temps d’aborder de front les sujets qui engagent l’avenir de la Martinique . Nous avons le besoin urgent d’une vision, d’un projet commun, dans lequel chacun peut se sentir concerné, responsable et acteur. C’est que nous ne sommes pas encore en crise, mais en métamorphose. Donc il nous faut vite repenser notre modèle de société, dont nous sentons qu’il atteint des limites : jusqu’où accepter le développement des inégalités ? Quels sont les outils d’un nouveau modèle économique et social , quelle sera la nouvelle place du travail avec la révolution numérique et l’intelligence artificielle ? Quel équilibre trouver désormais avec les transferts publics en virtuelle baisse en provenance de la France hexagonale ? Quel est l’impact du vieillissement sur les évolutions économiques et sociales de notre pays ? Comment permettre une meilleure intégration de ceux de nos jeunes qui sont exclus du travail , quelles qu’en soient les raisons ? Pour répondre à ces interrogations, il faut nécessairement réfléchir au concept fondamental de nouveau modèle économique et social qui s’avère bien plus large que celui de la départementalisation, car il trace une filiation directe entre l’époque des conquêtes sociales et la nôtre marquée sous le sceau du mal développement .
Définir simplement, le nouveau modèle économique et social n’est pas chose facile, car il a pour principe cardinal les droits économiques et sociaux de l’individu. Tout le reste de notre organisation politique et économique doit donc en découler : fin de l’assistanat , respect de l’Etat de droit, nouvelles règles de la liberté d’entreprendre, et changement de mentalité . Cette conception d’une société ouverte sur l’avenir et non fermée sur le passé devrait permettre aux opinions de s’exprimer sereinement dans toute leur diversité , à chacun de vivre selon ses propres moyens dans un cadre renouvelé où la richesse de la Martinique (le PIB) devrait, selon nous, diminuer drastiquement . D’ailleurs, en dépit de nombreux défis à relever, le modèle social de la départementalisation nous permet de vivre ensemble malgré nos désaccords et nos contradictions. Mais cette force apparente ne doit pas être perçue comme une fin de non recevoir au changement . Le monde économique en Martinique doit changer et vite. Nos vies – de plus en plus hétérogènes et menacées par la mutation technologique de la société – évoluent si vite que le modèle de la départementalisation semble dépassé.
Pire, face à cette crise existentielle, la plus grande qualité d’une société ouverte, sa capacité à se remettre en question, est souvent vécue en Martinique comme un défaut. Les partisans de la différenciation ou de l’autonomie l’ont bien senti: leur heure est venue. L’euphorie qui prévaut dans cette phase de plus de responsabilité, avec il faut le souligner la caution du pouvoir central parisien, masque ses faiblesses et ceux qui se risquent à les pointer, mettant notamment en doute le maintien de l’aide financière de la France hexagonale, et la juste répartition des richesses dans une Martinique sur la voie de l’autonomie , sont relégués au rang de rabat-joie. Et pourtant ces personnalités débattent librement, dans une enceinte neutre politiquement, des questions qui traversent la société Martiniquaise d’aujourd’hui et qui dessinent celle de demain. Ils répondent à l’ambition d’analyser, pour mieux les prévenir, les risques de rupture au sein de la société française qui impacteront forcément la Martinique .
Certes, les hommes politiques locaux ont leur rôle à jouer, notamment pour clarifier les enjeux, mais il n’est pas fréquent d’entendre les citoyens, leurs associations, les corps intermédiaires. Désormais confrontés à l’absence d’un débat porteur d’idées nouvelles pour une transformation possible du modèle actuel, nous nous devons de poursuivre le travail de rénovation économique de la départementalisation , sans pour autant trahir ses fondements sociaux historiques…..
En effet, les martiniquais ont longtemps eu une vraie confiance dans la gestion publique et un mépris évident pour le secteur privé. Il faut se souvenir de cette affiche d’une organisation politique qui montrait une usine sucrière fumante, avec juste ces deux mots : “ Exploitation coloniale » Mais la donne a changé. Dans l’inconscient collectif des martiniquais , l’action publique est devenue aujourd’hui synonyme d’endettement des collectivités locales, de dysfonctionnement sur la gestion de l’eau et des transports , et surtout d’inertie de l’Etat . Qui dit gestion publique locale dit inefficacité, gaspillage et pagaille bureaucratique.
Nous subiront tôt ou tard les affres de la situation délétère de la France hexagonale. Chômage de masse, déficits incontrôlables, ascenseur social en panne, faible mobilité professionnelle, solidarité en berne… Le modèle social français est grippé . Pourtant, ce drôle de système hérité de l’après-guerre continue de tourner et évite à la Martinique de sombrer totalement par temps de crise comme en 2009 . Une capacité de résilience qui ne doit pas empêcher un retour à l’apaisement des esprits, ni occulter l’urgence de réformes profondes ( mais néanmoins prudentes ) et surtout à bon escient du système départemental à l’heure où le monde se transforme à toute vitesse….!
Jean-Marie Nol, économiste