Le 11 juin 1942 la Gestapo a décidé l’application de la Solution inale de la Question juive à l’Europe de l’ouest (France, Belgique, Pays-Bas). Le contingent pour la France «dans un premier temps» a été ixé le 22 juin à 40.000 Juifs
A Vichy, les gouvernements collaborationnistes, antisémites et xénophobes de Pierre Laval et de François Darlan sous l’autorité du Chef de l’État, Philippe Pétain, avaient déjà entrepris spontanément de persécuter les Juifs en leur imposant un statut discriminatoire, en aryanisant leurs biens, en les spoliant, en les dépouillant, en les privant de travail et de ressources, en les recensant, en leur interdisant l’accès aux études supérieures, en limitant leur liberté de circulation, en internant administrativement en zone libre des dizaines de milliers de Juifs étrangers et en causant la mort de milliers d’entre eux par la faim et le froid, en supprimant la nationalité française des Juifs d’Algérie, en organisant à Paris à la demande des autorités allemandes trois grandes rafles en 1941: le 14 mai (celle du Billet Vert), le 20 août (celle du 11ème arrondissement) et le 12 décembre (celle des notables), entraînant l’internement de plus de 9.000 hommes en zone occupée dans les camps du Loiret (Beaune-la-Rolande et Pithiviers), de Drancy et de Compiègne.
Le 2 juillet 1942, les chefs SS Oberg, Knochen, Lischka, Hagen, obtiennent du gouvernement de l’Etat Français représenté par son Secrétaire général à la Police, René Bousquet, l’arrestation par la police française à la mi-juillet des familles juives du Grand Paris considérées comme apatrides (allemandes, autrichiennes, polonaises, russes, tchèques ou françaises dénaturalisées). Certes Bousquet plaçait en dernière ligne les Juifs français et avant tout les Juifs nés Français mais il eût mieux valu pour les Juifs et pour la France qu’il laissât aux Allemands qui n’en avaient pas les moyens policiers le soin de mener une rafle aussi scabreuse et de toutes façons impossible pour eux à mettre en œuvre. Une telle décision aurait probablement provoqué une crise politique à l’issue incertaine entre l’Allemagne et la France de Vichy, mais elle aurait certainement évité à la France ce que le Pasteur Boegner prédisait à Pétain: «une défaite morale dont le poids serait incalculable».
Le 3 juillet à Vichy le Conseil des ministres est informé par Laval et par Pétain de l’accord du gouvernement pour la solution retenue par Bousquet.
Le 4 juillet à Paris, Laval accepte de livrer aux Allemands dix mille Juifs apatrides, y compris des enfants, vivant en zone libre et déclare se «désintéresser» du sort des enfants des Juifs apatrides qui seront arrêtés à Paris et dans la province de la zone occupée, laissant ainsi les mains libres aux Allemands pour décider de leur sort.
La Préfecture de Police envisage une rafle de 22.000 adultes; mais le 17 juillet le total des arrestations s’élève à 9.037 adultes (3.118 hommes et 5.919 femmes) et 4.115 enfants.
Parents et enfants sont internés au Vélodrome d’Hiver (8.160 dont 1.129 hommes, 2.916 femmes et 4.115 enfants) tandis que les couples sans enfants et les célibataires (1.989 hommes et 3.003 femmes) sont internés dans le camp de Drancy.
Les autorités françaises insistent auprès des Allemands pour que les enfants soient déportés avec leurs parents; mais les SS les préviennent que le programme prévu des convois de déportation, trois trains par semaine, est tel que les parents risquent d’être déportés sans leurs enfants pour la déportation desquels Berlin n’a pas encore donné son accord.
Transférés dans les camps de Beaune-la-Rolande et Pithiviers, les parents y seront effectivement séparés brutalement de leurs enfants en bas-âge et qui sont presque tous français et ils partiront directement vers Auschwitz avec les adolescents (735) par quatre convois entre le 31 juillet et le 7 août.
Les enfants de 2 à 13 ans, qui sont plus de 3.000, seront dirigés sur Drancy à partir du 15 août car il n’y a plus d’adultes dans les camps du Loiret et que Berlin refuse des convois remplis exclusivement d’enfants. De Drancy les enfants seront déportés à Auschwitz dans des conditions abominables mêlés aux Juifs en provenance de la zone libre, où le 26 août se déroulera une rafle gigantesque.
En onze semaines entre le 17 juillet et le 30 septembre 1942, 33.000 Juifs arrêtés par la police française seront déportés par les Allemands et ce rythme aurait pu être maintenu si la population de la zone libre et si les prélats de l’Eglise catholique, piliers du régime, ainsi que les dirigeant des l’Eglise réformée n’avaient élevé leurs protestations contre des mesures inhumaines et déshonorantes pour la France.
Confronté à cette réaction en faveur des Juifs apatrides, Laval déclare aux chefs SS, le 2 septembre 1942 « que les exigences que nous lui avions formulées concernant la Question juive s’étaient heurtées ces derniers temps à une résistance sans pareille de la part de l’Eglise, le chef de cette opposition anti-gouvernementale étant en l’occurrence le Cardinal Gerlier … eu égard à cette opposition du clergé, le Président Laval demande que, si possible, on ne lui signiie pas de nouvelles exigences sur la Question juive. Il faudrait en particulier ne pas lui imposer a priori des nombres de Juifs à déporter ».
Les Chefs SS prennent en considération la position de Laval et le programme du service des affaires juives de la Gestapo d’un convoi quotidien de mille déportés entre le 15 septembre et le 31 octobre ne sera pas réalisé.
Ainsi est-ce au moment des plus grandes offensives du IIIème Reich en direction de Stalingrad et du Caire que les braves gens de tous bords et leurs guides spirituels ont pris position publiquement contre les fatales mesures antijuives du gouvernement de Vichy et l’ont contraint à freiner sensiblement sa coopération policière massive avec la Gestapo : 42.000 Juifs ont été déportés en six mois entre juin et novembre 1942; il faudra ensuite 21 mois aux SS pour déporter 32.000 Juifs.
Ces Français, animés par les valeurs chrétiennes et républicaines, ont mérité dans leur ensemble le titre de Justes. Cet environnement humain a favorisé la volonté de survie des familles juives, l’eficacité des organisations juives encore en mesure de leur porter une assistance clandestine ou dissimulée derrière une façade légaliste ainsi que le placement des enfants juifs, cibles prioritaires des nazis.
Ce constat m’a permis dès 1985 de conclure ainsi mon ouvrage intitulé «Vichy-Auschwitz» « Les Juifs de France garderont toujours en mémoire que, si e les mains des Allemands étaient vouées à la mort ».
La meilleure défense des Juifs français, de tous les Juifs et de la réputation de la France aurait été que Vichy opposât un refus à la demande des SS de leur fournir l’indispensable police française pour arrêter les Juifs quelle que fût leur nationalité.
A l’été 1942 le gouvernement Pétain-Laval disposait de sa lotte, de son empire, de son économie qui tournait à plein régime pour l’industrie de guerre du IIIème Reich, de sa police et de sa gendarmerie qui garantissaient l’ordre en France et la sécurité des troupes d’occupation permettant à l’Allemagne de mener son offensive à l’Est. Ce qui se serait passé en cas de refus n’est que de l’histoire fiction. Ce qui s’est passé par contre est une tragique et déshonorante page d’histoire ineffaçable, celle d’un crime contre l’humanité perpétré par le gouvernement de l’État Français associé à jamais à la volonté génocidaire de l’Allemagne hitlérienne. Saluons les deux grands discours de courage et de lucidité de Jacques Chirac, le 16 juillet 1995 et de François Hollande le 22 juillet 2012 qui ont exprimé sur ce sujet l’indispensable unité nationale.
Serge Klarsfeld, président de l’association «Les Fils et Filles des Déportés Juifs de France»
Merci de soutenir l’action des FFDJF – 32 rue La Boëtie – 75008 Paris – T : 01 45 61 18 78
Le 16 juillet 2017 sera inauguré rue Nélaton à l’emplacement de l’entrée historique du Vélodrome d’Hiver <le Jardin des Enfants du Vélodrome d’hiver où sera édifié un monument portant les noms, prénoms et âges de tous les enfants (3.900) internés au Vélodrome d’hiver et déportés sans interruption de leur internement.
Le 16 juillet 2016, comme chaque année, les Fils et Filles et leurs amis se rassembleront à 18 heures à l’emplacement du Vel d’Hiv : 10 bd de Grenelle, Paris 15ème.