Des choses, pas belles, se sont passées, en France, entre 2017 et 2020. Les femmes, par la main de déesses grecques surgies de l’Olympe, ont pris le pouvoir détenu par les hommes depuis des millénaires. L’Apocalypse, prédite pour décembre 2012, n’a pas eu lieu. Les déesses sont venues se mélanger à la société française. Le Parti du Cercle a imposé ses règles. L’expérience a très mal tourné. Mais comment faire la lumière sur ce règne éphémère et probablement sanglant, alors qu’une amnésie collective a été décidée par référendum au terme de cette page d’histoire, en 2020 ? Une amnésie appelée le Grand Blanc, approuvée à l’unanimité par la population. C’est pour juger cette douloureuse parenthèse que s’ouvre un maxi-procès dans ce qui fut longtemps le Stade de France et qui abrite désormais le Tribunal du Grand Paris. Nous sommes en 2062. À la barre, la Sibylle, prophétesse de la révolution des femmes. Pièces à conviction à l’appui, elle déroule le fil de sa mémoire, et la généalogie des événements. Petit à petit, on découvre la réalité de ces années très spéciales.
Chloé Delaume, née en 1973 à Paris, est écrivain et performeuse. Elle a obtenu le prix Décembre 2001 pour son roman autofictif Le Cri du sablier. Depuis, elle a écrit plus d’une vingtaine de livres, en variant les registres et les genres. Elle a été pensionnaire à la Villa Médicis en 2011-2012..*****
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« Liberté, parité, sororité », la République oubliée
— Par Alain Nicolas —
LES SORCIÈRES DE LA RÉPUBLIQUE, de Chloé Delaume. Seuil, 368 pages, 20 euros. Et si manquaient à la mémoire nationale trois ans de pouvoir exercé par les féministes du Parti du Cercle ? Une dystopie joueuse et provocatrice d’une Chloé Delaume en grande forme.
Vous voulez savoir qui va gagner l’élection présidentielle de 2017 ? Demandez à Chloé Delaume : Élisabeth Ambrose. C’est une sorcière, recrutée par la Sybille, du Parti du Cercle. Comment est-ce arrivé ? C’est une longue histoire, transportez-vous en 2062, lors du procès de la responsable de la première présidence féminine de la République française. De quoi l’accuse-t-on ? C’est difficile à savoir, car après trois ans de pouvoir un référendum a approuvé à 98 % une amnésie politique nationale. Archives détruites, mémoire reformatée, « nos aînés ont fait le choix de la lobotomie ». Cette période effacée est connue sous le nom de Grand Blanc. Il a fallu que cela se passe vraiment mal pour qu’on préfère tout oublier. Aujourd’hui, on compte beaucoup sur le procès pour en savoir plus. C’est que, le temps passant, et malgré les efforts des gouvernants, le refoulement n’est plus la priorité. Certaines choses ont refait surface. Alors, autant apprendre la vérité de la bouche la mieux qualifiée pour la dire, la coupable, la Sybille.
Ainsi commence le nouveau et très attendu roman de Chloé Delaume, les Sorcières de la République. Un tribunal, les procès tenus de nos jours à propos de faits remontant à la Seconde Guerre mondiale l’ont montré, est le lieu idéal pour une dramaturgie mémorielle. L’auteure joue cette carte jusqu’à la caricature, en fait un événement de masse, un moment de télé-réalité et de commerce : il a lieu dans l’ancien Stade de France, les décors et les costumes des magistrats, jurés et de l’accusée sont dessinés par de célèbres couturiers et, après le verdict, les pièces à conviction sont dispersées par une luxueuse salle des ventes. La dystopie (1) va plus loin, expose les dégâts du réchauffement climatique sur la France, où le climat est équatorial et l’île Saint-Louis submergée, sans parler de la mise à l’encan intégrale du pays, la Corse vendue à un oligarque moscovite, et Marseille privatisée « pour avoir la paix ».
Mais, de tous les fils que tisse Chloé Delaume, celui de l’arrivée au pouvoir des sorcières du Cercle est le plus apparent, le plus drôle et le plus provocateur. Elle ne mobilise rien de moins que les six déesses de l’Olympe grec, les Mayas, et l’Apocalypse. On se souvient peut-être qu’elle était annoncée pour décembre 2012, sauf pour ceux qui se seraient réfugiés à Bugarach. Si elle n’a pas eu lieu, ce n’est pas parce que les Mayas se seraient trompés, mais parce que les déesses ont pris en main le sort de la planète, en commençant par la France. Avec de malencontreux dommages collatéraux…
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