— Par Geneviève Colas, coordinatrice du collectif Ensemble contre la traite des êtres humains pour le Secours catholique-Caritas France.—
La Croix l’Hebdo : Que représente la traite des êtres humains dans le monde ?
Geneviève Colas : On estime, chaque année, qu’environ 2,5 millions de personnes – principalement des femmes et des enfants – tombent sous l’emprise des trafiquants. La traite des êtres humains générerait près de 32 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an. C’est la troisième forme de trafic après les trafics de drogue et d’armes.
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Nous sommes donc face à un fléau majeur. Et ce d’autant plus que ces chiffres ne sont que des estimations. Le phénomène reste largement invisible. En France, seules 21 % des victimes (connues des associations) portent plainte. Les autres, par crainte de représailles pour elles-mêmes ou leurs familles, restent inconnues des autorités.
Concrètement, que recouvre le terme de « traite » ?
G. C. : Il s’agit du fait de recruter, transporter, transférer ou héberger une personne, en ayant recours à la force ou à la contrainte, en vue de l’exploiter. Cela prend diverses formes : exploitation sexuelle, exploitation à des fins économiques, servitude domestique, exploitation de la mendicité, travail forcé, incitation à commettre des délits, trafic d’organes, mariage forcé, etc.
En volume, l’exploitation sexuelle et celle à des fins économiques (travail forcé, esclavage domestique) sont les plus importantes. Il n’est pas rare, toutefois, qu’une personne victime de traite le soit à différents égards et qu’après avoir été exploitée sexuellement, elle se trouve exploitée dans le domaine du nettoyage, de la restauration, etc. Dans tous les cas, il s’agit de violation des droits les plus élémentaires de la personne.
Existe-t-il un profil « type » des victimes ?
G. C. : Oui, les personnes les plus vulnérables. Le cas des migrants vient immédiatement à l’esprit : le fait d’être privé de statut, ou de revenus, expose au risque d’exploitation. Transitant d’un pays à l’autre via des réseaux de passeurs, ils peuvent se retrouver exploités ensuite… au motif qu’ils ont une « dette » vis-à-vis du réseau.
On passe alors du trafic de migrants à l’exploitation par le travail. C’est aussi le cas de certaines personnes handicapées mentales exploitées, elles, dans l’agriculture ou forcées de mendier. Tout comme certains enfants – certains mineurs isolés –, pris dans des réseaux les obligeant à voler, à cambrioler, etc.
Que recouvre la réalité de la traite en France ?
G. C. : Les derniers chiffres dont nous disposons font état de 3 000 victimes suivies par le secteur associatif. En volume, l’exploitation sexuelle est, de loin, la plus importante puisqu’elle concerne 74 % de l’ensemble des victimes (1). Il s’agit, majoritairement, de femmes nigérianes. Vient ensuite l’exploitation par le travail, qui concerne 9 % de l’ensemble des victimes. On les retrouve dans la restauration, le nettoyage, l’agriculture, etc.
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L’exploitation domestique concerne 8 % d’entre elles, la contrainte à commettre des délits 5 % et la mendicité forcée 3 %. Mais, attention, ces chiffres sont loin d’être exhaustifs ; la réalité est souvent invisible. La qualification de victime de « traite » reste encore trop mal connue des professionnels, et trop peu retenue par les enquêteurs qui lui préfèrent la qualification de « travail dissimulé ». Or, ce n’est pas anodin car être reconnu victime de traite s’accompagne d’un certain nombre de droits. En termes d’accès à l’asile, mais aussi pour intégrer un parcours de sortie de la prostitution.
L’opinion française vous semble-t-elle suffisamment sensibilisée ?
G. C. : Cela s’améliore mais les mentalités doivent évoluer. Les entreprises sont encore trop nombreuses à chercher absolument à tirer les prix vers le bas et, pour ce faire, à fermer les yeux sur les pratiques de leurs sous-traitants alors même qu’elles doivent en répondre… Il faut aussi repenser notre rapport aux victimes et proscrire toute poursuite à leur encontre. Ce qui n’est pas le cas sur le terrain.
Les mineurs non accompagnés – parfois contraints de commettre des délits – sont trop souvent considérés comme délinquants. Placés en détention pendant trois mois, et de façon répétée, ils arrivent à l’âge adulte en étant bien ancrés dans la délinquance, alors même qu’au départ ils sont clairement victimes.
Il s’agit aussi de s’intéresser à la traite des enfants à des fins d’exploitation sexuelle, et ce en lien avec la prostitution des enfants de plus en plus alarmante en France. Ces enfants sont perçus comme se livrant volontairement à la prostitution alors qu’on les prostitue pour en tirer un bénéfice. Ces jeunes sont victimes de traite, il faut le reconnaître ! Cela les aidera à témoigner, facilitera la compréhension par leur famille et leur permettra de tourner la page.
Recueilli par Marie Boëton
(1) Enquête annuelle de 2019, réalisée par la Miprof (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) et l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales).
Source : LaCroix.com