— Par Roland Sabra —
L’ouverture de la soirée s’est faite par une lecture « triphonique » de présentation de l’invité. D’emblée il a revendiqué sa filiation, son appartenance au monde des griots et pas n’importe lesquels comme son père le déclarait en 2001 « La première famille de griots, ce sont les K……, je suis un de leurs descendants. En Europe, on ignore ce que veut dire griot : pas seulement un conteur, mais tout à la fois le dépositaire de la mémoire de son peuple, mémoire uniquement orale, un maître de la parole, un généalogiste qui connaît toutes les ascendances de chacun, le maître des cérémonies, gardien des traditions et des coutumes, et, surtout, un médiateur⋅ Le griot est celui qu’on épargne durant les batailles parce qu’on aura besoin de lui ensuite pour faire la paix, celui aussi qui tente de résoudre les conflits au sein des familles, là où le chef n’a pas à intervenir⋅ ».
Il s’est incliné un genou à terre devant son cousin, plus âgé que lui, présent en Martinique depuis des décennies et qui signe ses articles dans un grand quotidien antillais sous un nom de plume légèrement occidentalisé.
Dany, son frère réalisateur a expliqué dans une vidéo que devant la sagesse par tous reconnue il lui avait cédé son droit d’aînesse.
Le directeur technique du lieu culturel dans le quel il officie a relaté leur rencontre et comment il avait su l’embarquer, lui et tout le personnel de la maison avec, dans un voyage où la notion du temps passé ou dépensé n’avait plus cours.
Il y eut aussi d’autres témoignages, d’autres éloges.
Et puis le griot s’est levé. Et il a raconté. Il a raconté le pourquoi et le comment de sa venue en Martinique. Il a dit la contrition de politiciens, conscients de leurs errances, de leurs erreurs, de leurs bêtises. Il a dit son nom à eux donné par des » chasseurs de têtes ». Il a dit leur insistance à le faire postuler. Il a dit les voyages qu’ils ont faits pour le convaincre de candidater. Il a dit qu’il avait à ce moment là de sa vie mille autres projets. Il a dit l’appel téléphonique en pleine nuit à quelques heures de la date limite de dépôt des dossiers d’une femme politique à la tête d’un grande collectivité territoriale pour le supplier déposer un dossier. Il a dit sa crainte à elle de voir, si rien n’était fait, la structure culturelle péricliter et devenir un centre commercial. Elle lui a dit à lui qu’elle quitterait dans quelques mois la vie politique et que si elle pouvait sauver ce vaisseau fantôme, tout son engagement politique prendrait sens. Il a dit qu’avec ses mots à elle, simples, sans fioritures, sincères elle l’avait touché, qu’il avait déposé un dossier mais qu’il réservait sa décision finale.
Il a dit les propositions alléchantes du Ministère de la Culture, pour le retenir, pour le dissuader d’aller en Martinique. Il a dit le mépris de certains fonctionnaires de ce Ministère qui lançaient comme une injure il ne faut pas, « donner de la confiture aux cochons » Il a dit sa révolte à entendre ces mots là. Il a dit ne pas accepter que l’on traite ses frères de « cochons ». Il a dit que puisqu’il en était ainsi il irait sur place voir ce qu’il en était. Il est venu dix jours. Il dit avoir eu 56 entretiens. Il dit avoir pris à ce moment là connaissance de l’ampleur de la complexité de la situation. Il a dit avoir eu foi en les ressources humaines et artistiques du pays. Il dit que la difficulté de la tâche l’a stimulé et l’a déterminé à prendre sa candidature au sérieux. Ce qu’il a fait. Et ce dont nous nous réjouissons.
Et puis, et puis il nous a fait grâce de bien vouloir nous narrer quelques contes africains. Il nous a subjugués. Et nous en avons redemandé des contes. Et il nous en donné un dernier… pour la route. Et il fallait partir. Merci Hassane Kassi Kouyaté.
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Fort-de-France, le 17/04/2016
R.S.