— Par Roland Sabra —
Depuis « J’ai tué ma mère », « Amours imaginaires, « Laurence anyways » Xavier Dolan confirme à chaque film qu’il est en train de construire une œuvre cinématographique magistrale. A 25 ans, le jeune prodige québecois livre avec « Tom à la ferme » un thriller sado-maso d’une facture hitchcockienne à couper le souffle.
Tom arrive dans un famille de rednekcs pour enterrer son amant, sauf que personne ne le connaît, et qu’ a fortiori nul n’a la moindre idée de la nature de son attachement à Guillaume. Seul le frère, Francis, une brute épaisse, homophobe plutôt psychopathe, a deviné. Contraint par lui à sauver les apparences Tom doit raconter à la mère ( Agathe) que son fils, Guillaume donc, avait une petite amie, Sarah. Dès lors, entre Tom et Francis, une relation poisseuse, perverse, construite de non-dits, de manipulations, de mensonges, de violence, de désirs inassignables à peine refoulés, va se déployer avec un suspense irrespirable et fleurir dans une esthétique « queer » et baroque pleinement assumée.
La relation consentie entre le bourreau et la victime relève d’un pacte dans lequel le masochiste détermine les conditions de la relation. Très vite Tom devine la haine qu’éprouve Francis à l’égard de l’objet de son désir, haine qu’il projette sur autrui et qui lui aura fait commettre dans le passé une agression qui lui vaut aujourd’hui d’être stigmatisé, mis à l’écart par les autres paysans. Tom va s’insinuer, dans l’érotisation des coups, au plus près de ce désir, pour mieux torturer son bourreau jusqu’à l’épilogue marécageux de sa destitution subjective. Tom ayant enfin compris que Francis était plus agi qu’agissant et qu’il ne pouvait donc tenir les termes du pacte, il met fin à cette relation en abime de celle qu’il avait avec Guillaume, pour sauver sa peau. L’au-delà du « Je » du frère, envahissant et obsédant, n’appartenait qu’à la mort. Et il n’est pas anodin que cette découverte soit faite à l’aide d’une rencontre avec l’altérité sexuelle, en la présence d’une amie de Tom venue donner chair à Sarah.
Les références hitchcokiennes, comme une agression sous la douche, une poursuite dans un champ de maïs à maturité, tranchants comme un champ de couteaux, des lumières entre chiens et loups, sont des hommages respectueux mais jamais serviles au maître. Xavier Dolan fait preuve d’une inventivité esthétique qui fleure bon un formalisme raisonné et assujetti à un énoncé. L’image sur l’écran prend des dimensions variables en fonction du propos tenu, format 4X3, format académique, format natif, format panoramique réduit dans la hauteur etc. sont utilisés et peu repérables par le spectateur captif de bout en bout par la narration. L’ultime élégance de Xavier Dolan est de faire oublier que son film est une adaptation d’une pièce de théâtre homonyme de Michel Marc Bouchard. Exploit auquel il faut ajouter une bande sonore d’un bel acabit, inaugurée par un chant a capela à faire fondre les cœurs d’airains.
Les 9èmes RCM auront été cette année, des « Chiens errants » à « Real » en passant par « Tom à la ferme » sans oublier « Aimer, boire et Chanter » d’une grande qualité.
Fort-de-France, le 19-06-2014
R.S.
Lire aussi l’article de Selim Lander : Tom à la ferme, une certaine image du Québec http://www.madinin-art.net/tom-a-la-ferme-une-certaine-image-du-quebec/
Tom à la ferme un film de Xavier Dolan
Xavier Dolan Rôle : Tom
Pierre-Yves Cardinal Rôle : Francis
Lise Roy Rôle : Agathe
Evelyne Brochu Rôle : Sara
Manuel Tadros Rôle : Le patron du bar
Jacques Lavallée Rôle : Le curé
Anne Caron Rôle : Le docteur
Olivier Morin Rôle : Paul