— Par Aurélien Allin —
Le 30 juin 19 h Madiana
Trois ans après ANIMAL KINGDOM, Michôd confirme la puissance de son cinéma avec ce ROVER pesant, dévastateur et bouleversant.
« Vous devez y tenir à cette voiture. C’est fou de s’énerver pour si peu », dit une femme au Vagabond (Guy Pearce) qui, depuis qu’un gang a volé son véhicule, n’a plus qu’une idée : retrouver les malfrats et récupérer son bien. THE ROVER conte la mission absurde d’un homme dénué de toute émotion perceptible. Pourtant, David Michôd, qui avait déjà démontré son talent pour la dissection de la complexité humaine dans ANIMAL KINGDOM, va mener le spectateur vers la compréhension de cet homme insondable. Il l’oppose à Rey (Robert Pattinson), membre du gang que le Vagabond va utiliser pour retrouver sa bagnole. Quand l’un, idiot du village, affirme sa foi en Dieu, l’autre lui rétorque : « Dieu t’a laissé avec moi qui n’en a rien à foutre de toi ». Quand le Vagabond fait montre d’un pragmatisme clinique, l’autre affirme : « Y a pas besoin d’une raison pour tout ». Grâce à cette dynamique des contraires brillamment écrite, Michôd pose sa caméra sur un Occident putréfié, dix ans après la chute de son économie. Tout en non-dit et en suggestion, THE ROVER explore un univers d’anticipation où la Chine a pris le pouvoir, où l’Australie est devenue ce que sont certains pays africains aujourd’hui – une terre riche en minerais convoités où règnent famine et misère. Un monde où l’on tue sans réfléchir, où le déclin économique s’accompagne d’une agonie effrayante de la morale et où la vie humaine, dépourvue de but, n’a plus de valeur. Incapable d’inventer un nouveau système pour fonctionner, l’Homme tourne en rond. En tirant ce portrait d’un rare nihilisme, Michôd confirme tout le talent qu’on avait décelé dans son premier film, mais renouvelle profondément son esthétique : là où ANIMAL KINGDOM jouait sur un romantisme opératique, une claustrophobie urbaine et des personnages sournois, THE ROVER abat la carte de la frontalité, se penche sur des hommes démasqués, filme la violence et la peur sans détour, use de musique bruitiste et de la lumière cramée des grands espaces pour saturer le spectateur de sensations écrasantes. Pesant et agressif, THE ROVER offre une expérience de cinéma extrême, dont on n’a pas fini de décrypter la densité émotionnelle et la précision stylistique. Ici, tout peut arriver, même un Vagabond qui fera tout pour récupérer sa dernière possession. Mais est-il vraiment un monstre ? Quel est ce remords que l’on croit déceler dans certains de ses regards ? Agit-il réellement sans but ? La réponse que Michôd offre dans toute sa crudité à la fin de THE ROVER, qu’il capte avec une immense dignité, se révèle profondément déstabilisante et bouleversante. Un film choc, un vrai.
De David Michôd. Avec Guy Pearce, Robert Pattinson, Scoot McNairy. Australie / États-Unis. 1h42. Sortie le 4 juin