— Par Selim Lander —
Brest, 1950. Après les bombardements alliés, la ville est un immense chantier de construction. Puisque, en effet, la guerre c’est d’abord détruire et après, bien sûr, reconstruire… jusqu’à la prochaine. En ce temps-là, malgré les acquis de 36 et de la Résistance, les temps sont durs pour les ouvriers. Certes, ils ne vivent pas dans la hantise du chômage comme aujourd’hui mais les salaires sont bas et le travail se fait encore, pour l’essentiel, à la main. Alors on se met en grève et on manifeste. Autre différence avec aujourd’hui où, face aux gilets jaunes, la police a la consigne d’éviter à tout prix un accident mortel, à l’époque les gardes-mobiles étaient équipés non de flash-ball mais d’armes à feu. Quand un manifestant était tué, les autorités ne s’émouvaient pas plus que ça ; elles étaient même d’accord avec le patronat pour juger que cela pourrait hâter la fin de la grève. Rien de tel qu’une démonstration de force pour calmer les esprits, n’est-ce pas ?
Tel est le cadre du film d’Olivier Cossu, directement inspiré de la BD éponyme d’Etienne Davodeau et Kris. Le début est déroutant : si les tableaux qui constituent le décor (urbain la plupart du temps) sont peints délicatement et rendent bien l’atmosphère à bien des égards triste et grise d’une époque – qui n’est pourtant pas si lointaine puisqu’elle fut celle de l’enfance des plus vieux spectateurs des RCM – on a un peu de mal à s’habituer à l’animation minimaliste (et même rudimentaire) des personnages. On s’y fait car l’histoire est particulièrement émouvante. Elle part d’un fait réel authentique : la mort d’un manifestant sous les balles d’un policier, un assassinat – n’est-ce pas le mot juste quand on tire pour tuer sur individu armé tout au plus de quelques cailloux ? Et la fin du film nous apprend que ce crime demeurera impuni : sans doute a-t-on considéré que l’ouvrier n’a eu que ce qu’il méritait. La manifestation n’était-elle pas interdite ? Sauf que le début du film nous a montré que cette interdiction était en réalité illégale, pour avoir été décidée à la dernière minute et fait l’objet d’une procédure antidatée.
Le film se concentre sur le tournage d’un film sur la grève commandité par le syndicat, puis sur sa projection dans des lieux improvisés, grâce à un matériel de fortune. Le cinéaste est accompagné pour la circonstance par P’tit Zef et Désiré, les deux copains d’Edouard, l’ouvrier tué. Tout cela est très bien raconté et plus le film avance, plus les personnages grossièrement dessinés et animés prennent une épaisseur humaine.
Sous ses apparences modestes, Un homme est mort – le titre est inspiré d’un poème d’Eluard tiré du recueil Au rendez-vous des Allemands (1944) récité à plusieurs reprises dans le film – est du vrai cinéma politique.
Programme du 26 mars 2019