— Par Roland Sabra —
Le quatrième film de Hong Sang-soo que l’on a pu voir en France mais deuxième dans l’ordre de programmation des RCM 2015 est sans doute un des plus réussis du réalisateur coréen. On y retrouve des thématiques déjà déclinées qui sont celles d’un refus de la classification et de ce qu’elle implique comme catégorisation, hiérarchisation pour ne pas dire simplification réductrice. Hong Sang-soo cultive l’art de la disjonction inclusive avec pour conséquence de mettre ses personnages dans l’impossibilité de prendre une décision.
Gyung-soo est comédien dans la trentaine à qui l’on vient de refuser un rôle à Séoul. Désoeuvré il répond favorablement à l’invitation téléphonique quelque peu avinée d’une vieille connaissance lui proposant de venir le voir en province. Il lui présentera une amie proche, une danseuse qui dit-il l’apprécie beaucoup. Apprécier est un mot bien faible. La belle Myung-sook se révèle être raide dingue de Gyung-soo qui en retour n’éprouve pour elle qu’un désir vite déclinant⋅ Quand il découvre que son ami est lui véritablement amoureux de cette femme il décide de fuir par le train chez ses parents et c’est au cours de cet autre voyage qu’il rencontre une autre femme qui connait sur le bout des doigts sa carrière, les films qu’il a tourné, les pièces de théâtre qu’il a jouées. Sun-young est mariée, bien mariée à un professeur d’université, donc apparemment non disponible pour que bien sûr Gyung-soo en tombe éperdument amoureux. On retrouve là une situation de triangulation bien connue, qui fonctionne comme une illustration du désir mimétique tel que le développe René Girard. En désirant un individu B, l’individu A le désigne comme tel à C. Le désir de A lui-même n’étant que le reflet du désir de C pour B. Mimesis acquisitive porteuse de mort puisque l’imitation absolue de l’autre vise à le faire disparaître en tant qu’autre.
Cette rencontre est placée sous le signe du double, de la gémellité, elle aussi porteuse de mort. Il fût des temps où l’on tuait les jumeaux. Pour qu’une vie éternelle soit fondée et qui donc défie la mort l’élimination d’un jumeau, Remus, est nécessaire, etc.
La rencontre de Gyung-soo avec Sun-young décline ce registre à plus d’un titre. D’abord elle lui rappelle que quinze ans auparavant il était déjà, au lycée tombé amoureux d’elle. Ce qu’il a totalement oublié ! Ensuite elle est cause du reflet inversé des sentiments qu’il éprouvait la veille à l’égard de Myung-sook sans oublier qu’elle-même mariée se situe entre deux hommes. Et si Gyung-soo fuyait celle qui s’accrochait à lui il s’agrippe à celle qui veut s’éloigner. Dérisoires amoures humaines, trop humaines !
Entre deux saouleries, entre deux repas, entre deux trains entre deux hommes, entre deux femmes, entre ville capitale et villes de province, entre plaisir jouissif et l’inévitable débandade, entre mort et vie, Hong Sang-soo refait ses gammes avec ce culte de l’écart infime pour ne pas avoir à être dans la simple répétition. C’est par petites touches que se construit le film avec des cadrages serrés souvent fixes pour souligner l’enfermement des personnages dans des situations qu’ils ne maîtrisent pas. Nul esthétisation de l’univers dans lequel ils se meuvent. Les rues sont quelconques, encombrées de passants, de voitures, de poubelles. Un brouillard estompe les lignes franches et concourt à une vague indifférenciation. Une atmosphère se crée, émouvante et sensible, localisée dans un endroit du monde bien précis par sa naissance, universelle par ce qu’elle peut émouvoir en chacun de nous. Du bonheur!
Fort-de-France, le 16/06/2015
R.S.
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TURNING GATE – Bande-annonce VO by CoteCine
Turning Gate
Titre original Saenghwalui balgyeon
Réalisation Hong Sang-soo
Scénario Hong Sang-soo
Acteurs principaux
Kim Sang-kyung, Chu Sang-mi, Ye Ji-won