Du 30 janvier au 04 février 2018 à La Maison des Métallos. Horaires
1ère mise en ligne le 09/07/2017
De et par François Cervantes
— Par Michèle Bigot —
A partir d’une correspondance avec Erik Ferdinand
F. Cervantes, debout, seul, noir sur fond noir. Pas d’objets, pas de décor, la nudité. Il prend la parole, à moins que ce soit la parole qui s’empare de lui. Hésitant, mais calme et déterminé, commence le récit. Comme un balbutiement de l’enfance. Récit autobiographique : l’enfance à Tanger, la mère, l’apprentissage de l’alphabet, à partir de quoi le verbe va le hanter pour ne plus le lâcher. De là, l’histoire d’une formation, qui est aussi l’histoire d’un corps à corps avec les mots : « Je cherche les mots » dit-il, « Je découvre un volcan caché en moi et j’ai peur ». Jusqu’à ce qu’il découvre le théâtre. Le théâtre comme voix et comme médiateur entre les corps et les mots. L’écriture comme dramaturgie et la scène comme une passe entre auteur et lecteur, incarnée par une double présence vivante : l’acteur et le spectateur. Donc un vrai dialogue prend naissance, non pas une parole adressée par un homme seul à une multitude indéfinie, mais comme un homme qui parle à un homme. En respectant les silences, tendu vers l’autre.
Car ce texte dramatique est aussi une réflexion sur le théâtre et la vraie nature du dialogue, chose rare, chose précieuse. F. Cervantes se fie et se confie à chacun de nous, pris isolément. Et le dialogue qui émerge est un miroir. Il réfléchit un autre récit ; double spéculaire d’un autre dialogue, aussi rare et précieux : celui que F. Cervantes a entretenu par correspondance avec Erik, un des détenus de la prison du Pontet. François a pu visiter cette prison et parler avec le bibliothécaire : celui-ci lui a raconté que les détenus lisaient de la poésie ou des autobiographies, pas des fictions. Belle leçon pour un écrivain !
Alors que tout un chacun aurait cru que le prisonnier n’avait rien de plus pressé que de s’évader dans la fiction. Eh bien non ! C’est dans les mots ou dans l’épaisseur du vécu qu’il cherche son secours.
La correspondance commence. Très vite un correspondant sort du lot : Erik, avec qui l’échange prend vie. Alors que la prison coupe les liens avec les autres, émerge ici un échange fort et singulier, écoutons ce qu’en dit F. Cervantes :
« Je retrouve le rythme oublié du courrier, la circulation des enveloppes, les timbres, la découverte des écritures tracées à la main
Cet espace entre deux personnes, immobiles, une lettre à la main, devient vibrant.
Notre relation ne ressemble à rien d’autre : ce n’est pas une amitié, ni une fraternité, rien… C’est une relation magique, je m’en rends compte peu à peu
Je retrouve mes premiers moments d’écriture, ceux de l’enfance : j’apprenais à écrire pour apprendre à parler »
La parole du détenu occupe progressivement l’espace du plateau : elle verse dans la narration. François n’est plus que le porte-parole d’Erik. On est passé insensiblement du récit autobiographique à la narration écrite par le détenu, moyennant une réflexion sur l’échange, sur l’écriture et le théâtre.
Un brouillage des frontières s’organise peu à peu, entre réalité et fiction, entre un auteur et un autre : qui parle ? à qui ? Dans ce jeu de cache-cache, c’est la pure humanité qu’on entend dans un parler vrai qui n’a plus à autoriser ses sources. Un homme parle à un homme (lui, vous, moi), peu importe, la teneur du propos est si forte qu’on en oublie les cadres pour aller à l’essentiel, l’essence de l’échange.
F. Cervantes pensait d’abord écrire une fiction à partir de cette correspondance et c’est la voix d’Erik qui impose d’elle-même sa propre puissance, à l’état pur, libérée des soucis de genre, de forme et de toutes les contingences littéraires.
« Une voix se détache de toutes ces lettres, celle d’Erik
Erik, c’est un oiseau qui veut prendre l’avion au lieu de voler, un animal sauvage égaré au milieu des hommes »
Et qui nous ramène à notre essentielle humanité. L’auteur remplit alors au mieux la mission qui lui est impartie. Prêter sa voix pour s’effacer devant la parole nue, celle de l’autre, celle qu’on n’attendait pas. En cours de route on avait oublié qu’un auteur c’est d’abord quelqu’un qui sait écouter. Et passer le relai. Surtout au théâtre.
Michèle Bigot
Madinin’Art