— Par Dominique Daeschler —
Grensgeval-Tonelhuis -In
A partir des Suppliants de Elfriede Jelinek, texte qui fait référence à notre histoire culturelle et européenne en associant ses mouvements de population à l’histoire d’aujourd’hui, Guy Cassiers metteur en scène et Maud le Pladec chorégraphe plongent dans la réponse ambigüe, protectionniste de l’Europe à l’égard des réfugiés. Avec quatre comédiens, seize danseurs, de la vidéo et un son ultra présent, le choix est fait de dire avec plusieurs voix, plusieurs corps. La parole est absorbée par les jeunes danseurs (du conservatoire royal d’Anvers) qui s’engagent et résistent tout à la fois : porosité, mouvement, distance. Le spectacle se présente comme un triptyque : le périple en bateau (atmosphère sombre, projection agrandie des corps et lents déplacements des planches), la marche en Europe en plein feu avec une profusion d’images et d’informations qui se catapultent sur un écran géant, l’arrivée dans une église (protection et huis clos) où chaque être est fondu dans la pénombre en une masse informe. La réussite du spectacle tient beaucoup à son absence totale de redondance, d’illustration : chacun joue sa partition sans qu’on sache toujours qui parle, quelle image est la plus forte car le récit provocateur, violent coure comme torrent furieux. Nous spectateurs sommes troublés, roulés comme de vulgaires cailloux sans savoir vraiment prendre parti : le renvoi sur nous même arrive comme une gifle et nous laisse dans notre impuissance, au-delà de l’émotion.
Exodes-L’argile des mots-Off
Loin des moyens techniques et humains de Grensgeval , l’auteur acteur Olivier Morin, avec un seul pupitre et l’accompagnement musical complice et talentueux d’Emmanuel Valeur sur le plateau, raconte « la jungle de Calais où Mowgli se les gèle », « les maintenus, les retenus, ceux de l’exil en mer et de l’attente en terre ». C’est dit sans effet, avec noblesse, mais peut être un goût trop appuyé de la rime qui aide cependant au rythme de ce monologue. Les compositions musicales savent jouer les respirations. Par contre, on se serait passé des intermèdes détente (tirade des nez revisitée), l’acteur pris dans son récit n’en a pas besoin.
J’ai soif-Cie Serge Barbuscia- scène d’Avignon –Off
Serge Barbuscia reprend dans son théâtre du Balcon «j’ai soif » d’après Si c’est un homme de Primo Levi, un texte présenté en In en 2016 à la Basilique Notre Dame des Doms. En scène, il dit la faim, la fatigue la douleur des déportés, lentement, en tournant comme lion en cage. Le dispositif scénique comporte en son centre un orchestre de chambre le quatuor Classic Radio de Corée du Sud (talentueux jeunes gens qui jouent avec fougue Haydn mais sans emphase) et au sol et aux murs d’immenses feuilles sur lesquelles seront projetées des notes de musique, des portraits de femmes, des miradors donnant l’illusion d’un espace rond, fermé(travail de vidéo raffiné à partir des acryliques de Sylvie Kajman).Ce long poème qui se permet l’humour entre la torture de l’eau , la dureté de l’hiver et les crématoires s’adresse à nous les vivants autant comme un message que come un témoignage. Quand Levi parle de la destruction en tant qu’hommes des déportés avant l’inéluctabilité de la mort nous ne pouvons penser qu’à aujourd’hui. L’intelligence est d’avoir su accompagner d’une vie tangible (musiciens en scène, force des images tourbillonnant) un texte sobre et précis dit par un comédien habité. « Comment pouvait-on frapper un homme sans colère ? »