Martinique Jazz Festival 2016. J2 : jeunesse & tradition en partage

— Par Roland Sabra —

maher_beauroyBelle soirée autour de Maher Beauroy et Randy Weston à Tropiques-Atrium Scène nationale, ce vendredi avec un public qui doucement prend ses marques. En première partie une jeune plante martiniquaise issue de l’Académie de Musique de Didier et du SERMAC et qui après un passage par les clubs de jazz parisiens poursuit sa formation, déjà bien assurée, au Berklee College of Music de Boston dans le Massachusetts, l’une des plus grandes écoles de musique privées des États-Unis. C’est parmi les, un peu moins de quatre mille élèves dont un quart d’étrangers, de cette école, qu’il va rencontrer quatre autres musiciens pour présenter en quintet An lot solèy. Rencontre décisive pour une musique un peu décalée qui dans son exécution a pu dérouter une petite partie du public. Les compositions très élaborées débutent souvent de façon monorythmique avant de verser rapidement dans cette polyrythmie très 20ème siècle et chère à Stravinsky, Messiaen, ou Bartok mais aussi à des formes de biguine en rupture avec la tradition. La tonalité ( atonalité?) générale de An lot Solèy est est un message d’espoir en un monde meilleur construit autour d’un dialogue à la fois décousu, singulier, toujours respectueux entre instruments. Le piano de Maher Beauroy organise le débat, distribue la parole entre le vibraphone de Julian Velasco, le violon d’Antoine Beux, avec souvent  en soutien rythmique et en sourdine la basse de Lucy Clifford et la batterie de Jessie Cox. Ces deux là par ailleurs ne manquent pas de se faire entendre d’exprimer avec force et talent leur point de vue. Contrastes sonores, oppositions tranchées, renversement de situations, sur fond de complicité omniprésente et respectueuse offrent une coloration chaleureuse et sympathique à la prestation. Tentation d’une « musique savante ? Démonstration d’école ? Hommage rendu à ses maîtres ? On ne sait, mais au delà de ces références obligées il semble que Maher Beauroy soit en voie de s’extraire de ses années d’études et d’ouvrir avec ses complices des chemins d’ouverture prometteurs.

Randy Weston lui n’a plus rien a démontrer. Sa musique participe de ce retour à l’Afrique qui a marqué toute une génération à partir des années 60-70. Fidèle à cet engagement de toute une vie influencé dans sa lointaine jeunesse par Art Tatum, Duke Ellington, Nat King Cole et surtout Thelonious Monk, il poursuit, à 90 ans passés, ses tournées mondiales accompagné de l’incroyable African Rhythms Club avec Alex Blake à la contrebasse, et Neil Clarke aux percussions africaines. Mêler Jazz et musique africaine au plus intime d’elles-mêmes tel est son credo. Facétieux à souhait, ce trio, s’amuse avec sérieux, se lance des défis, les relève, se moque de lui, avec un talent au-delà de ce qu’on peut imaginer. Randy Weston  qui a très souvent montré son dos au public, n’en fait pas trop, laisse la part belle à ses co-équipiers, notamment à l’invraisemblable Alex Blake qui fait un usage de sa contrebasse à nul autre pareil. Loin d’un rapport compassé ou guindé au respectable instrument  de la musique classique, il s’amuse à faire croire qu’il ne s’agit que d’une grosse caisse « violonisée », « contrebassisée », désacralisant l’instrument et son usage occidental pour en faire un outil au service de son imaginaire musical. Magnifique clin d’oeil à la décolonisation instrumentale! La ligne musicale, par delà les extravagances amusées, est plutôt classique. Le public ravi s’est reconnu, ou tout au moins a reconnu ses années de jeunesse, dans cette prestation enjouée, chaleureuse et d’un professionnalisme hors pair.

Fort-de-France, le 26/11/2016.

R.S.

Le programme du Martinique Jazz Festival 2016

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