Une soirée illuminée par le verbe d'une jeune poète québecoise
Samedi soir l’association Virgul’ closait l’opération « Lire et dire pour le plaisir » par une soirée poésie réservée aux femmes dans l’ancienne purgerie du Domaine de Fonds Saint-Jacques. Quelques défections mises à part le plateau prévu répondait présent. Djeynaba Gueye, conteuse du Sénégal, a dit deux contes où il était question de petites filles désobéissantes et qui étaient punies, alors même qu’elles ne faisaient que suivre des garçons tout aussi désobéissants mais épargnés, sans doute parce justement ils étaient des garçons ! Puis elle nous a raconté une histoire de trois pintades ( énonciation au féminin!) sans beaucoup de cervelle ! A en croire Djeynaba Gueye, il semblerait que les modes de socialisation des petites filles au Sénégal soient très fortement marqués par la soumission et que les études sur le genre y aient un bel avenir ! Le pire était à venir avec la lecture d’un long texte de Noni Carter, auteure étasunienne, sur l’interruption volontaire de grossesse, au contenu idéologique pour le moins ambigu si ce n’est franchement réactionnaire. Il lui a été conseillée de prendre connaissance d’un autre poème d’une autre tonalité celui là d’Anne Sylvestre ( cf ci-après).
Voir la mise au point de Noni Carter
Deux belles chansons de Linda Bekhaled, une franco-algérienne vivant en Martinique ont apporté à l’assistance un sourire plein de tendresse. Il était question d’un père s’adressant à son bébé, et d’une belle déclaration d’amour.
Le moment fort de la soirée a été trois poèmes d’une grande beauté d’une jeune québecoise Sophie Jeukens que l’on peut écouter sur son site. Au delà de la force et de l’évidente poésie de ses textes elle fait montre d’un savoir faire étonnant dans leur restitution orale. Elle se joue de de figure de style, métaphores, allitérations, assonances et autres, mais aussi d’onomatopées, pour nous faire croire qu’elle nous parle de tout et de rien alors qu’en réalité elle nous parle de l’essentiel, de ce qu’est une vie, comme elle l’entend, pour nous le faire entendre à nous qui pensions seulement l’écouter. Si elle nous dit « les peuples qui vivent en captivité » la beauté des images, parfois éblouissantes, vient en contre-point d’un texte pensé, réfléchi tout entier au service d’un engagement de corps et d’esprit qui pour entier qu’il soit ne verse jamais dans un quelconque militantisme réducteur. Elle en est à des années-lumières tant son esthétique est partie différenciée d’une éthique incarnée. Elle donne envie de paraphraser Jean-Luc Godard. « Il en est qui font de la poésie pour vivre. Sophie Jeukens fait de la poésie pour ne pas mourir. »
Elle nous dit entre autres choses :
« devant tout ce qui voudra nous faire taire
nous opposerons des mots qui n’existent pas
inventerons un vocabulaire nomade
plein de mots ambulants
et de phrases sans virgules
nos semelles sur l’asphalte
parleront d’elles-mêmes
c’est par instinct de survie »
que nous ferons des poèmes.>
Sophie Jeukens
Fort-de-France, le 04/04/2014
R.S.
*****
***
*
par Anne Sylvestre
{Refrain}
Non, non tu n´as pas de nom
Non tu n´as pas d´existence
Tu n´es que ce qu´on en pense
Non, non tu n´as pas de nom
Oh non, tu n´es pas un être
Tu le deviendrais peut-être
Si je te donnais asile
Si c´était moins difficile
S´il me suffisait d´attendre
De voir mon ventre se tendre
Si ce n´était pas un piège
Ou quel douteux sortilège
{au Refrain}
Savent-ils que ça transforme
L´esprit autant que la forme?
Qu´on te porte dans la tête?
Que jamais ça ne s´arrête?
Tu ne seras pas mon centre
Que savent-ils de mon ventre?
Pensent-ils qu´on en dispose
Quand je suis tant d´autres choses?
{au Refrain}
Déjà tu me mobilises
Je sens que je m´amenuise
Et d´instinct je te résiste
Depuis si longtemps, j´existe
Depuis si longtemps, je t´aime
Mais je te veux sans problème
Aujourd´hui je te refuse
Qui sont-ils ceux qui m´accusent?
{au Refrain}
A supposer que tu vives
Tu n´es rien sans ta captive
Mais as-tu plus d´importance
Plus de poids qu´une semence?
Oh, ce n´est pas une fête
C´est plutôt une défaite
Mais c´est la mienne et j´estime
Qu´il y a bien deux victimes
{au Refrain}
Ils en ont bien de la chance
Ceux qui croient que ça se pense
Ça se hurle, ça se souffre
C´est la mort et c´est le gouffre
C´est la solitude blanche
C´est la chute, l´avalanche
C´est le désert qui s´égrène
Larme à larme, peine à peine
{au Refrain}
Quiconque se mettra entre
Mon existence et mon ventre
N´aura que mépris ou haine
Me mettra au rang des chiennes
C´est une bataille lasse
Qui me laissera des traces
Mais de traces je suis faite
Et de coups et de défaites
{au Refrain}