« Les bonnes » création à Fort-de-france : homosexualité, religions, candomblé et luttes des classes
Elle arrive à l’heure au rendez-vous, qu’elle a demandé plusieurs fois de déplacer, parée des couleurs du diable : noire et rouge. Martinico-brésilienne, elle a gardé cet accent lent et chanté de son pays natal. La langue a du mal a maîtriser le bouillonnement de l’esprit. Venue parler de sa dernière création « Les Bonnes » présentée pour la première fois à Fort-de-France, jeudi 10 avril avant Le Festival d’Avignon cet été, elle profite d’une incise sur Jean-Luc Lagarce pour décortiquer, pendant deux bonnes heures, la façon dont il faut lire « Juste avant la fin du monde » qu’elle travaille en ce moment avec des élèves comédiens. Genet, Lagarce, des auteurs à ne pas mettre en toutes les mains et dont Jandira de Jésus Bauer fait son quotidien. Un quotidien qui n’a rien de monotone, son rapport aux textes est charnel, il est fait de sexe, de transgressions, de tendresse, de mise en danger, de passions, et les mots sont à l’avenant, directs, sans fioritures, les formules assassines et drôlement imagées de tournures lusophones, en un mot, un discours d’humanité.
Va-t-elle enfin consentir à parler des « Bonnes »? Elle préfère évoquer son prochain travail celui dont elle s’éprend pour se déprendre de celui qui la travaille encore. Elle se lance ainsi d’une passion à une autre. Toute. Entière. Et quand elle finit par aborder l’aventure dans laquelle elle a embarqué deux comédiennes professionnelles, Amel Aïdoudi, Yna Boulangé et une débutante Jeanne Baudry , toutes les trois majeures et consentantes, il faut le souligner, vous vous dites que la Martinique a des chances de souvenir longtemps de ce qu’elle pourra voir sur scène et que le scandale, dont le « Robert » nous donne la définition suivante « Occasion de péché créée par la personne qui incite les autres à se détourner de Dieu; le péché commis par la personne qui incite et par celle qui se laisse entraîner » est on ne peut plus certain. Jandira de Jésus Bauer (oh! blasphème du nom) nous livre une création, tirée du chaudron caribéen, empreinte de paganisme, de monothéisme, d’homosexualités à empilement variable, d’affrontements de classes, de délicieuses obscénités et d’abjections succulentes, devant laquelle les murs du théâtre foyalais qui en ont pourtant beaucoup vu en un siècle d’existence risquent de trembler d’effroi.
Braves gens, voici l’argument.
Le 02 février 1933, dans la bonne ville du Mans dans la Sarthe, un crime des plus odieux est commis par deux soeurs, servantes de maison, Christine et Léa Papin (des ancêtres du célèbre footballeur). Elles ont assassiné, coupé, tailladé, évidé les yeux de madame Lancellin, leur patronne et fait de même à sa fille. La police les a découvertes couchées dans le même lit, dévêtues, les cheveux en bataille, meurtrières, homosexuelles et incestueuses. « En voilà du propre! » telle est selon Lacan, dans un appendice à sa thèse de doctorat, la formule qu’elles échangent lors de l’irruption de la police dans leur chambrette sous les toits. L’aînée instigatrice du meurtre, Christine a vingt-huit ans, la cadette Léa en a vingt et un. Le procés est baclé en une journée et leur sort scellé en une heure : condamnation à mort pour Christine et dix ans de traaux forcés pour Léa assorti d’une interdiction de séjour de vingt ans. Christine ne sera pas guillotinée, elle sombrera définitivement un an plus tard dans la schizophrénie, prostrée appelant la mort. Dès 1933, la france va se passionner pour l’affaire des soeurs Papin. Le journal « Allo police », ancètre de « Détective » interroge : « A-t-on condamné deux folles? ». « Gringoire » journal qui deviendra pro-nazi pendant la seconde guerre, prend la défense des victimes : » La société ne veut pas devenir un champ clos d’expériences cliniques où les victimes ne serviraient qu’à éclairer la psychologie des assassins! » Des propos sarko-datiens compatibles? A la vengeance pour les victimes de La complainte des soeurs Papin s’opposeront les surréalistes qui prendront fait et cause pour les deux soeurs. Lacan deux mois après le verdict publiera « Motifs du crime paranoïaque : le crime des soeurs Papin ». Il critiquera l’expertise psychiatrique et s’opposera au verdict. Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre essaieront sinon de justifier tout au moins de comprendre le meurtre. On retrouvera quelques belles pages dans « La Force de l’âge ». Jean Cocteau écrira une chanson pour Marianne Oswald « Anna la bonne » . Un film, « Blessures assassines » relate assez fidèlement et sans pathos cette affaire passionnante.
Le 19 avril 1947, il a donc soixante et un an, Louis Jouvet monte pour la première fois « Les Bonnes » de Jean Genet ». Elles n’ont cessé depuis d’être sur scène. Il y a vingt cinq ans le dernier recensement des textes consacrés à l’auteur était contenu dans un ouvrage de 660 pages. On ne peut qu’imaginer ce qu’il en est en 2008. Une grand partie de ces études concerne « Les Bonnes ». C’est dire le monument auquel s’attaquent avec courage et témérité, nos compatriotes martiniquaises.
Jalouse et possessive, Jandira Jesus de Bauer n’a pas organisé d’avant-première réservée à la presse. Votre serviteur qui devait couvrir la gestation et l’accouchement de la pièce a été cordialement invité à rester chez lui. Le travail de mise en scène a consisté à explorer tous les possibles compatibles avec le respect dû à l’auteur Jean Genet que Jandira de Jesus Bauer a rencontré à Paris alors qu’elle était comédienne dans une représentation des « Bonnes » justement . Elle a refusé de materner ses comédiennes, leur demandant constamment de prendre en charge ce qu’elles entendaient du texte, ce à quoi il faisait écho en elles, se limitant souvent au rôle de gardien du temple de la fidélité à Genêt, comme quoi on peut être scandaleuse et avoir des valeurs. L’insécurité ainsi créée n’est pas sans rapport avec le statut ancillaire de Claire et de Solange. Le texte est très exactement celui de la deuxième version, la plus jouée, pour le reste la créatrice n’en dira pas plus. Rendez-vous donc les 10, 11 et 12 avril 2008 au Théâtre de Fort-de-France