Le théâtre amateur de Martinique est vivant!

— par Roland Sabra —

A peine le festival de théâtre amateur du Théâtre Amé Césaire de Fort-de-France fermait-il ses portes que celui de la ville de Trinité ouvrait les siennes du 01 au 06 juin. Annoncé avec discrétion, il faut dire que les responsables des services culturels et de communication de Ttrinité ont encore une large marge de perfectionnement devant eux, il  nous proposait en séance inaugurale une pièce de Daniel Boukmam « Agoulou ek Ti Sonson » par la toute jeune compagnie Krye Manmay Sent-Lis. Daniel Boukman reprend donc une thématique déjà abordée avec Agoulouland et mise en scène par Bérard Bourdon ( ). Ce ne sont pas les extraits choisis de cette nouvelle mouture qui permettent d’apprécier l’évolution de la réflexion de l’auteur. Loin s’en faut !

Ce sont pas moins de deux metteurs en scène, Marie-Line Sully et Roger Ebion qui se sont chargés de présenter le texte. La troupe est nombreuse, trois demi douzaines de comédiens sont présents sur le plateau ou en arrière plan dans les coulisses pour une pièce centrée autour d’un personnage unique, attablé et qui se goinfre, du début à la fin, de divers plats que sa gloutonnerie réclame avec force. Un choix de texte totalement inadapté à la pléthore de comédiens mobilisés pour l’affaire. Le personnage principal reste quasiment immobile pendant toute la représentation à part un lever de sa chaise pour émettre bruyamment des gaz. Un « comique » de pétomane ! Voilà à quoi se résume la mise en scène. Marie-Line Sully expliquera plus tard au public qu’il suffit de vouloir devenir metteur en scène pour être metteur en scène ! Et de citer et re-citer cette phrase attribuée à Lénine « Là où il y a une volonté il y a un chemin », pour appuyer son dire. Pareille indigence laisse coi !

C’est à se demander si un travail de sélection des pièces présentées à été mis en place où si tout bonnement, les organisateurs du festival ont retenu ce qui leur était proposé sans se poser d’autres questions.

Le deuxième soir on pouvait voir une pièce déjà jouée en mai au petit théâtre foyalais, « Les sardines grillées ». On se souvient que deux comédiennes passionnées de théâtre, Brigitte Villard-Murel et Juliette Mouterde avaient pris contact avec Valer Egouy de la compagnie Virgul’ pour les faire travailler ce texte de Jean-Claude Danaud. C’est Juliette Mouterde dans le rôle difficile de Victoire qui avait donné le plus de mal au metteur en scène, la transformation, assez spectaculaire, du personnage de Solange étant plus réussie. Brigitte Villard-Murel faisait montre dans cet exercice d’un réel tallent. L’ouvrage a été remis sur le métier depuis.

Le troisième soir nous n’y étions pas pour voir « La soupière  » de Robert Lamoureux dans une mise en scène de Marie-Pierre Loiseau. Ce travail sera représenté les 17 et 18 juin au théâtre Aimé Césaire de Foyal à 19 h 30.

Le quatrième soir, nous nous sommes précipités pour voir la suite du travail qu’Emile Pelty effectue  depuis des années avec des seniors de l’Ajoupa-Bouillon. Nous avions apprécié « Le retour d’un fils » il y a deux ans. Cette année Josy Descas, la plume de la troupe,  a ressorti de son tiroir un texte écrit autour de la thématique de l’eau auquel elle a ajouté une affaire de moustiques. Dengue et chikungunya (en abrégé le chik) obligent. Il y a toujours dans son écriture théâtrale un souci pédagogique, celui de rappeler aux jeunes générations ce qu’était la Martinique an tan lontan. Et quand les dites jeunes générations ne viennent pas aux Anturiums, c’est le nom de la troupe, ce sont les Anturiums qui vont à elles, dans les écoles notamment. « Kalbas dlo , atansion moustik » n’est pas la plus réussie des pièces de Josy Descas, ou alors la mise en scène a eu plus de difficultés avec ces seniors aussi peu disciplinés que leurs petits enfants. Le début de la pièce a semblé patiné, tant elle a paru brouillonne. Le manque de répétition a soulevé le problème d’une diction parfois inaudible. Le personnage dit le « Chabin » nous a gratifié d’un numéro d’amoureux de la divine bouteille un peu trop appuyé, trop long et donc inutile. Mais on pardonnera beaucoup à une troupe dont l’âge oscille allègrement entre trois et quatre fois vingt ans.

La remise des prix a été précédée de deux saynètes intitulées « Un toit pour trois » et «  La fête des mères » du « Poutji pa Téyat ».  Scènes de la vie quotidienne qui donnent à voir pour l’une, une relation  adultérine et quasiment incestueuse entre un mari et sa belle-sœur et pour l’autre un conflit conjugal à propos de la célébration de la fête des mères. Personne ne semble avoir été choqué par un personnage qui sous le toit conjugal entretient une relation sexuelle assidue et torride avec sa belle-sœur que son épouse à recueillie à l’âge de trente mois et qu’il a donc élevée comme sa propre fille! « Incest, the game all family can play »

Le palmarès du jury, présidé par Bérard Bourdon, a été un déni de justice caricatural ( voir ci-après l’article Les dessous du jury du festival). Il y avait quatre troupes qui concouraient et quatre prix à remettre, du Sucre d’Orge au Sucre d’Or en passant par le Sucre de Bronze et le Sucre d’Argent. Le principe, oublié aussitôt qu’énoncé, était de distinguer non pas une troupe mais un ou une comédienne. On pouvait légitimement penser que tous les spectacles allaient recevoir une part de mérite. Et bien non! Un seule troupe a vu aucune de ses comédiennes récompensée, alors même que le public avait été impressionné par son talent au point de demander plusieurs fois, lors du débat après la représentation, s’il ne s’agissait pas d’une troupe professionnelle. Une troupe a donc été distinguée deux fois, comme pour mieux en éliminer une autre. Une fois en primant une actrice et une autre fois en primant l’ensemble de la troupe!! Pourquoi ce traitement exceptionnel qui déroge à la règle que le jury s’était lui-même fixé? Les deux actrices, d’origine métropolitaine, de la troupe éliminée sont donc reparties, bredouilles.  Absence de discernement? Bêtise aveugle? Ostracisme déplacé?  Ou peut-être les trois à la fois? On ne se prononcera pas. On se contentera de rappeler avec Raphaël Confiant  que « Le noirisme est un infantilisme« .

Nous ne répèterons pas assez que c’est une chance pour la Martinique d’avoir ce type de festival. Encore faudrait-il qu’il soit pris plus au sérieux, d’abord, comme nous l’avons dit par ses organisateurs et ensuite par ses participants dont il serait souhaitable que l’esprit de compétition, ne fut-il qu’amateur, viennent les aiguillonner davantage. L’idée même d’un concours est en place,   mais là encore faudrait-il qu’elle soit développée et organisée davantage et qu’elle se plie à des règles d’une plus grande rigueur.

Enfin en dernier lieu il serait hautement souhaitable que la future collectivité unique prenne en charge l’organisation d’un grand concours de théâtre amateur de Martinique. D’abord pour sortir les rencontres existantes de l’enfermement qui les menace, de cet esprit de wilaya et même de clocher, dont on a entraperçu les dérives possibles, ensuite pour prendre en compte une demande sociale dont on ne peut nier la réalité.  Les festivals, le mot est un peu fort, organisés à Fort-de-France, à Trinité, dans la communauté de communes du Sud sont la preuve vivante qu’il existe une passion pour le théâtre en Martinique. Pas une commune, qui ne connaisse dans tel établissement, qu’il soit administratif, scolaire, professionnel, de santé, de retraite ou autre, un groupe, quelques fois de deux ou trois, quelques fois de plusieurs dizaines d’assez fous des planches pour se prêter au jeu qui consiste à endosser le personnage d’un autre et de s’y tenir le temps d’un rôle. Certains comédiens amateurs n’avaient pas grand chose à envier à leurs ainés professionnels. C’est là que se situe la base, le socle sur lequel pourra se (re)construire un théâtre professionnel de qualité riche d’une identité édifiée dans la reconnaissance d’une altérité.

Fort-de-France, le 07/06/2011

Les dessous du jury du festival de

Trinité

    Plus d’un aura été scandalisé par le palmarès rendu public par Bérard Bourdon lors du Festival 2011 de théâtre amateur de la ville de Trinité. Sentiments d’iniquité et d’injustice dominent. Comme tout se sait très vite dans notre petit pays, nous avons appris que les membres du jury n’étaient pas unanimes, et c’est un euphémisme. Notons d’abord que Daniel Boukman dont la troupe « Key Manman Sent-Lis » présentait la pièce « Agoulou ek Ti sonson » a eu l’élégance de se retirer du jury. Il n’était pas venu à l’idée des organisateurs qu’il pouvait y avoir comment dit-on aujourd’hui? Conflit d’intérêts? L’auteur n’a pas eu a se prononcer sur la façon dont son texte avait été passé à la moulinette, dépecé et restitué sous la forme d’un galimatias  sans queue ni tête. Par ailleurs on a appris que les membres du jury s’étaient réunis plus d’une semaine avant l’ouverture et s’étaient mis d’accord pour exclure du palmarès « Les sardines grillées » au motif que la pièce avait déjà été jouée, notamment à Fort-de-France et qu’il ne s’agissait pas de vrais amateurs, car trop nettement au dessus de la concurrence. Ni le metteur en scène ni les comédiennes n’ont été prévenus.  On les a laissé jouer en leur faisant croire qu’ils concourraient alors que leur sort avait été réglé par avance. Il n’y a pas eu d’élaboration  plus avancée de règles d’appréciation. On s’est limité à l’évaluation du texte, du metteur en scène et des comédiens C’est ainsi que le texte d’un des auteurs contemporains les plus joué et traduits dans le monde entier est passé à la trappe quand bien même a -t-il été mis en scène par quelqu’un d’expérimenté, et qu’un texte dont l’audience ne dépasse pas les frontières de notre ile, mis en scène,  un bien grand mot en l’occurrence, par des novices sans grand talent, pour le moment, a été récompensé. Quand il y a eu désaccord, et cela semble-t-il sur de nombreux points, c’est, parait-il, la voix du président du jury qui a été déterminante.

M’A.