Il faut de tout pour faire un monde ; c’est également vrai au théâtre. Tragédie, drame ou comédie – Racine, Shakespeare ou Molière (pour s’en tenir aux vieux maîtres) – ne nous procurent pas les mêmes plaisirs. Le spectateur, cependant, n’est pas pris au dépourvu : sachant ce à quoi il doit s’attendre, il choisit les pièces qu’il ira voir. En d’autres termes, l’amateur « branché » d’aujourd’hui n’aura pas l’idée de se fourvoyer dans un théâtre des Grands Boulevards : il s’en tiendra aux salles subventionnées et, l’été, au « In » d’Avignon. L’amateur martiniquais n’a pas, quant à lui, la possibilité de faire autant le difficile : avec une programmation tournant autour d’une dizaine de pièces par an, jouées chacune deux ou trois soirs, il a intérêt à faire flèche de tout bois, plus précisément à se précipiter sur tout ce qui se présente, s’il veut satisfaire son appétit pour le théâtre.
Cet éclectisme forcé a au moins ce bon côté qu’il permet de vérifier combien les comédiens sont essentiels dans la réussite d’un spectacle. Un texte sublime peut devenir insupportable s’il est mal joué et, inversement, un texte sans grand intérêt peut se révéler plaisant s’il est porté par des comédiens talentueux ayant envie de faire partager leur plaisir de jouer. Les spectacles montés en Martinique présentent à cet égard un caractère très spécifique : le nombre de représentation est si faible que les comédiens n’ont jamais la possibilité de se roder complètement. Pour autant qu’ils aient répété, ils n’en sont jamais qu’au tout début de l’approfondissement de leur rôle, lequel ne peut se faire qu’avec un contact répété avec les spectateurs. En Martinique, ces derniers sont donc confrontés, pour les pièces créées sur place, à des comédiens particulièrement fragiles et vulnérables,… ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement un inconvénient.
Tout ceci pour en venir au dernier spectacle monté par Hervé Deluge et la compagnie « Île Aimée », Le Système Mako, adaptation au contexte local du Système Ribadier de Feydeau. On a un peu de mal à suivre le metteur en scène lorsqu’il veut voir dans la pièce « une critique acide de la société », qui révèlerait « la nature des relations entre les individus en fonction de leur appartenance à une même famille ou groupe ethnique ou social ». Il s’agit en fait d’un bon vieux vaudeville où la critique sociale, si elle existe, ne risque pas de remettre en cause l’ordre établi. La situation est d’ailleurs parfaitement invraisemblable, ce qui n’incite pas à prendre au sérieux les enjeux éventuels de la pièce. Le seul message qui pourrait aller dans le sens d’une certaine critique est porté par le mari cocu – c’est dire ! – qui dénonce les conventions sociales d’une manière telle qu’il les renforce plutôt. Inutile de faire un drame de ce qui nous arrive, déclare-t-il en substance à l’amant ; ce n’est pas si grave, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, … à condition cependant que nul ne soit au courant. En d’autres termes : je conteste les conventions sociales mais elles sont tellement puissantes que je ne saurais les contester publiquement ; bref je les rejette sans les rejeter !
Inutile donc de se prendre la tête pour chercher le message. Suivons plutôt le conseil de McLuhan et contentons-nous du medium ! Considérons Le Système Mako pour ce qu’il est : un simple vaudeville, C’est d’ailleurs le parti retenu, en pratique, par le metteur en scène. Le décor est celui, stylisé, d’un salon bourgeois, avec une banquette ronde, tournante, et un mur qui bloque le fond de scène, percé de plusieurs portes et d’une fenêtre par laquelle s’introduiront successivement deux des personnages de la pièce. Les portes sont également importantes : permettant aux comédiens de faire leur sortie aussitôt qu’entrés (ou inversement), elles ajoutent à la mise en scène un élément de dynamisme incontestable. Il faut mentionner encore un coq perché au début sur la fenêtre, puis sur le bras de son maître « coqueleur », un terme qui permettra de jouer sur sa quasi homonymie avec « coqueur », mot antillais désignant un homme particulièrement heureux en amour(s) (et dont une traduction approximative en français métropolitain pourrait être « coq de basse-cour »).
La mise en scène appuie à juste titre sur le comique des situations et des répliques. Deux comédiens se détachent du lot à cet égard : Caroline Savard qui tient l’unique rôle féminin, celui de l’épouse de l’amant, et Hervé Deluge lui-même dans le rôle d’un soupirant un tantinet demeuré. Les autres comédiens, loin de démériter, tiennent au contraire leur place avec tout le brio souhaitable. On peut simplement remarquer, comme cela a déjà été mentionné – et cela est valable pour l’ensemble de la troupe – qu’il faudrait davantage de représentations pour que chacun soit en mesure de donner le meilleur de lui-même.
Au CMAC de Fort-de-France les 4, 5 et 7 mai 2013.