Quels sont les enseignements à tirer des théories sur les crises du capitalisme ?
— Par Paul Boccara, économiste.—
Au début du XXIe siècle, reviennent au premier plan les préoccupations sur les crises dans le capitalisme, après l’effondrement des idées sur le déni de leur importance et de leur caractère nécessaire, en raison de l’exacerbation des crises mondiales depuis 2008. Ainsi, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, dans le Triomphe de la cupidité (2010), a pu déclarer : « Si la nouvelle économie et la théorie économique n’avaient pas totalement anéanti les fluctuations économiques, elles les avaient domptées. Du moins le disait-on. La grande récession a pulvérisé ces illusions en 2008… Des idées bien établies sur la théorie économique (…) sont tombées dans l’abîme. » Il propose de revenir à Keynes et à son principe d’« insuffisance de la demande globale ». Mais la question est bien plus complexe. Il convient, pour examiner cette complexité, de revisiter l’ensemble des théories sur les bases de la suraccumulation du capital et des crises périodiques plus ou moins décennales, sur trois siècles de pensée économique. Cela vise à reconstruire une sorte de puzzle de différents éléments de l’explication complexe des crises nécessaires, plus ou moins catastrophiques, dans le capitalisme. C’est ce que vise mon ouvrage Théories sur les crises, la suraccumulation et la dévalorisation du capital (Delga, 2013). La première partie, avec ses enseignements, est consacrée aux théories unilatérales opposées sur l’explication de la suraccumulation et des crises. On peut analyser ainsi toutes les écoles de pensée économique successives, du XVIIIe siècle à nos jours : les économistes classiques, les marxistes, les néoclassiques, les keynésiens. Chose tout à fait remarquable, malgré les différences et les oppositions considérables des diverses écoles, on retrouve, en dépit des instruments d’analyse différents, la prédominance des deux mêmes types d’analyses unilatérales opposées : les théories sous-consommationnistes et d’excès d’épargne et les théories sur-consommationnistes (excès des consommations) ou d’insuffisance d’épargne. Ainsi, à propos des limites d’accumulation de capital et des excès de la suraccumulation, déclenchant les crises, les théories expliquent qu’il y a soit insuffisance de consommation et de demande, par rapport à la production croissante, entraînant les crises de surproduction ; soit, tout au contraire, excès de consommation, par exemple de salaires contre le profit, s’opposant à l’accumulation devenue non rentable, ou s’opposant à l’épargne et donc à l’investissement. Cela peut concerner la consommation des salariés ou encore l’ensemble des consommations. Si nous considérons les économistes classiques : d’un côté, nous avons les théoriciens sur-consommationnistes ou de l’insuffisance d’épargne Smith en 1776, Ricardo en 1817, Turgot en 1766 ; de l’autre, citons les sous-consommationnistes Sismondi en 1819 et Malthus en 1820. L’ensemble de leurs théories se polarisent autour du travail salarié productif. Si nous passons aux théories néoclassiques et néo-keynésiennes, nous retrouvons, malgré des concepts de base radicalement autres, majorant le rôle de l’investissement en capital fixe, les types d’explications unilatérales opposées. Ainsi, du côté des explications par l’excès des consommations ou de l’insuffisance de l’épargne, on peut retenir trois auteurs : Pigou en 1941, Hayek en 1929-1932 et Hicks en 1950. Pour les théories inverses, de sous-consommation ou de sur-épargne, nous rencontrons des analyses presque parfaitement symétriques, celles de Bouniatian en 1907, de Myrdal en 1931 puis 1939, et de Smithies en 1957. Enfin, on retrouve, pour les auteurs marxistes, les analyses unilatérales symétriquement opposées. Mais cela ne concerne pas Marx car il traite les deux côtés. Nous examinerons les dépassements des deux côtés dans un article ultérieur. Ici, les oppositions sont polarisées sur la plus-value pour le capital.
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Paul Boccara