— Par Roland Sabra —
Chyco Jéhelmann au piano -Photo Philippe Bourgade- Droits réservés-
Il y a treize ans que Chyco Jéhelmann ne s’était pas produit sur scène. C’est dire l’attente du public le 27 novembre 2008 dans la grande salle de l’Atrium à Fort-de-France ! Attente comblée. Le pianiste martiniquais, seul en scène, en s’installant dans la durée a su créer un climat d’échanges intimes avec le public fort nombreux ce soir là. Quelques phrases musicales, en vérité peu nombreuses, mais exprimées sur une large palette de tonalités, avec des découpes, des inflexions, des reprises, des inversions de schèmes musicaux, des réitérations voilées, qui s’articulent autour d’une thématique servant de fil conducteur, ont donné une cohérence au propos pianistique. Il y a quelque chose qui inexorablement faisait penser aux Exercices de style façon Queneau. Chyco Jéhelmann, tour à tour mordant et caressant, enjôleur et distant, livre un corps à corps bienveillant avec son piano. La thématique est déclinée, par moment avec une dextérité, au sens fort du mot, et curieusement ce ne sont pas ces passages les plus applaudis. L’approbation du public se manifeste aux passages joués les plus fortement. Le pianiste a su écouter la salle, sans pour autant chercher à lui plaire, sans tomber dans la flatterie. Plus d’une fois il a semblé seul au monde avec son piano, absorbé dans l’intimité du lien qu’il entretient avec son l’instrument comme faisant fi de la présence d’un millier de spectateurs.
Le pianiste d’une grande sensibilité, quasiment à fleur de peau, n’hésite pas à prendre des risques, à se mettre en danger dans la poursuite d’une piste ouverte à partir d’une improvisation sur des ritournelles constitutives du fond musical martiniquais. Le toucher du clavier est à l’image de celui qui la met en œuvre, fait de force, de violence contenue, et de fragilité porteuse d’une ouverture au monde. La salle a retenue son souffle, comme tendue vers ce que lui soufflait à l’oreille le musicien qui lui parlait d’elle.
Spyro Gyra à l’Atrium -Photo Philippe Bourgade- Droits réservés-
En deuxième partie le quintette étasunien Spyro Gyra, montait sur une scène martiniquaise pour la première fois. Le professionnalisme de ce groupe de jazz fusion est sans doute ce qui s’affiche le plus vite avec la grande complicité qui règne au sein du groupe. Julio Fernandez à la guitare accompagne, souligne, surligne, son jeu d’une gestuelle de scène spectaculaire dans ses solos les plus faciles et demeure beaucoup plus sobre dans ceux qui mobilisent plus intensément son talent. Bonny Bonarparte aux percussions et au chant dégage un jeu enlevé, facétieux qui sollicite le public. Scott Ambusk à la basse a semblé un peu en retrait, les promesses des prémisses des ses solos n’ont pas toujours été tenues. Jay Beckenstein aux saxophones s’il fait preuve de virtuosité verse parfois dans l’esbroufe quand il s’exerce à souffler en même temps dans ses deux saxos. Et la salle d’applaudir. Tom Schuman aux claviers n’a paru inspiré que par instant. Et pourtant la prestation globale était supérieure à la somme des talents réunis sur scène! L’énergie communicative a enlevé la salle plus d’une fois. Le plaisir était là.
Un début de festival qui affiche la diversité, l’originalité et la qualité. à suivre…
Gangbé Brass Band-Photo Philippe Bourgade- Droits réservés-
Deuxième soir : Soirée énergétique et chaleureuse!
En première partie un groupe béninois, Le Gangbé Brass Band, qui met son jazz en fanfare. Il sont huit sur scène avec des outils qui leur permettent d’aller jouer n’importe où, là ou il n’il a pas d’électricité. Contraste avec Spyro Gyra à la fois sur le plan technique mais aussi sur la place du musicien à l’intérieur du groupe. Individu et communauté. Quand l’un multiplie les solos et les présentations d’artistes qui vont avec, l’autre joue résolument collectif et consent, exceptionnellement, à présenter les personnalités qui le composent, en se contentant de donner les prénoms. Occident vs Afrique! Une même passion pour la musique déclinée sur des modes culturels très différents. Le Jazz comme mot fourre-tout. Le groupe est un bel exemple d’acculturation réussie, l’appropriation d’instruments venus d’autres régions du monde permet de reprendre en les transformant des thèmes musicaux ancrés dans la culture du pays des musiciens qui les adoptent. Etrangeté familière qui émane d’une fausse reconnaissance d’un groupe qui joue une musique à la recherche d’une efficacité immédiate, et d’un bonheur de vivre qui se nourrit d’une critique sociale, parfois rude mais toujours amusée. Les choses sérieuses que la musique a à dire, sur la corruption, sur les petits arrangements entre amis, sur les injustices etc. peuvent être dites, et elles le sont, mais avec une distance ironique. C’est à partir du Jazz occidental, presque tous ont connu précédemment des carrières internationales, qu’ils sont allés vers leurs racines. Le résultat est plus syncrétique que synthétique, mais c’est une façon de souligner ce que la diversité peut avoir d’éclectique.
Craig Adams -Photo Philippe Bourgade- Droits réservés-
En seconde partie Craig Adams a offert un long concert amoureux au public martiniquais qui ne demandait que cela. Ce pianiste et organiste de talent, à la masse imposante, déploie une énergie phénoménale qui emporte la salle, la fait chavirer, danser, frapper des mains, chanter, à donner envie d’aller à la messe. C’est dire! Le groupe est structuré autour de la figure patriarcale du fondateur, il n’y a aucune incertitude là-dessus, la loi du Père est absolue! Le gospel qu’il nous livre, et c’est le plus important, se construit autour de quelques accords majeurs d’une grande simplicité, tantôt façon blues, tantôt façon rock and roll, mais toujours joué avec une générosité débordante de vitalité et de joie communicative. Le concert est une messe, mieux une communion, il s’agit d’entraîner les spectateurs, ou plutôt les fidèles, dans l’enthousiasme du partage. Le public est sorti sourire aux lèvres. Enfin celui qui est resté jusqu’à la fin, car une infime partie s’entête dans cette déplorable crainte de rater le dernier métro qui les ramène à leurs pénates. L’autre envers de l’acculturation!
Soir trois un peu soporifique!
Les 50 ans de la bossa-nova. Etait-ce la fatigue accumulée les soirs précédents? Etait-ce la salle de l’Atrium qui d’un coup apparaissait trop grande pour ce genre musical, plus intimiste? La mayonnaise n’a pas pris.
Le premier concert était celui de du trio martiniquais de Charly Labinsky. Le répertoire et ses approximations était de même facture que celui donné il y a peu au Théâtre de foyal. Mais ce qui passait plutôt bien dans la bonbonnière foyalaise, grâce à la proximité entre public et musiciens, semblait, ici, un peu perdu dans la grande salle du CMAC.
Le deuxième concert était très brésilien, très franco-brésilien, très brésilien de l’exil parisien. Musiques de films, mais sans images, la soirée a semblé longue! Et c’est bien dommage parce que la qualité des prestations n’était pas en cause. Seule Mariana De Moraes était en deçà de ce pourquoi elle était sur scène. Les artistes invités avaient du métier et/ou étaient allés à bonne école, comme les fils de Baden Powell. L’enthousiasme de la veille n’y était pas. La distance culturelle entre la Martinique et le Brésil serait-elle plus grande qu’on ne l’imagine? Où danse-t-on la bossa nova dans l’île?
Cette première partie du festival a souligné la richesse incommensurable du répertoire jazzistique tout en soulignant son élasticité et sa capacité à intégrer, à digérer des genres musicaux d’une grande diversité. C’est le pari réussi de cette programmation soucieuse de la prise en compte de l’altérité comme source constitutive de l’identité. La musique comme ouverture à l’autre.
Novembre 2008
Roland Sabra