— Par Michèle Bigot —
de et avec Jacques Kraemer
Festival d’Avignon off 2017, salle Roquille, 8=>22 juillet
Cette variation autour du Misanthrope repose sur un parti-pris d’écriture et de mise en scène qui suffit à ouvrir des perspectives en profondeur sur le théâtre. Un metteur en scène se tient face à nous. Nous représentons les comédiens du Français. Il est là pour distribuer les rôles et délivrer quelques pistes d’interprétation. C’est l’occasion de faire quelques commentaires sur le sens du texte et l’art du comédien. Le spectacle auquel nous assistons figure une répétition . La forme reprend en l’inversant la figure de mise en abyme. Du coup,les principes édictés par le metteur en scène valent pour l’ensemble de la discipline. C’est aussi l’occasion d’apurer quelques comptes avec les gens de théâtre : les acteurs vaniteux, les directeurs et producteurs prétentieux, les scénographes obsessionnels et obtus, tout le monde y trouve trois ou quatre vérités.
C’est une fête pour l’esprit et une fête tout court pour tout passionné de théâtre : il n’est que de voir ce que Jacques Kraemer peut faire sur scène avec un théâtre de marionnettes et deux mains !
Au fond, moins il y a de machinerie, plus le texte a de puissance et plus le jeu de l’acteur est sublimé (et inversement, quelques metteurs en scène devraient y réfléchir!)
Et que dire sur son élocution ? C’est une merveille de limpidité articulatoire. Dans sa voix, le texte sonne dans toute sa musicalité. Il en souligne les intentions les plus cachées par une mimique sobre du visage, du corps et des mains. Il en respecte le rythme, sans précipitation, avec ses blancs et ses silences. Finalement, on s’aperçoit qu’on n’avait jamais entendu le Misanthrope, ce qui s’appelle « entendre » au double sens que le verbe possède dans la langue classique.
Voilà bien la plus magistrale leçon de théâtre qu’on eût pu recevoir au cœur de ce temple du théâtre qu’est Avignon. Chacun des agents de l’art dramatique, auteur, metteur en scène, acteur devrait y puiser matière à réflexion et à réjouissance. Dans le plus jovial et le plus spirituel des spectacles. Foin des scénographies compliquées et surchargées, foin du personnel dramatique nombreux, et des recherches concurrentielles de modernité!Un seul homme, Jacques Kraemer, qui sait et peut tout faire. En somme un véritable homme de théâtre, comme Molière, son modèle: auteur, metteur en scène, acteur. Lequel Molière aurait été bien surpris si on lui avait expliqué la division des tâches !
Chez Jacques Kraemer, l’écriture du texte, c’est déjà de la mise en scène et c’est déjà de l’interprétation. Quant au jeu de l’acteur, il réunit également ces trois disciplines : il est intelligence du texte, incorporation, élocution et diction.
Un texte aussi grave et aussi drôle que Le Misanthrope se trouve ici merveilleusement servi et actualisé (attention ! Pas « modernisé ») Pas besoin d’acrobaties pour rejoindre notre temps. Le texte sait faire cela tout seul pour qui sait l’entendre et le dire.
Merci de nous rappeler qu’au théâtre l’illusion nous en apprend davantage sur la vérité des êtres que le réalisme et que la transposition est la clef de l’écriture dramatique et la justesse l’horizon des comédiens.
Michèle Bigot
Madinin’Art