La sensibilité effervescente d’Henri Corbin

—Par Georges Desportes* —

henri_corbin-400Le poète Henri Corbin est comme un arbre qui nous donne à goûter chaque année les fruits savoureux de ses poèmes. Sa générosité productive, ce me semble, est due, à une sensibilité effervescente qui activement, appréhende et mord de son écume, légère et poétique, tout ce qui le touche au cœur, le fait rêver ou réfléchir à même l’impact du quotidien. Il sait aussi réactualiser le passé et, dans sa clairvoyance, dessiner le profil d’un avenir ouvert à l’espérance de tous.
En son ouvrage intitulé Lieux d’ombre, Corbin nous démontre à profusion qu’il n’est pas un témoin figé de notre temps et qui, plongé dans l’indifférence de l’homme blasé, se débarrasse du monde, de ses maux, de ses peines et de ses malheurs.
Dans ce livre, d’affirmation et de courage, le poète Corbin se permet, sans fausse honte, d’étaler sa profession de foi, afin que nul n’en ignore. Et il manifeste, par cette déclaration publique, ses opinions, ses engagements, ses liens avec toutes les valeurs auxquelles il croit et pour lesquelles il se dévoue et se bat.
Rien ici d’une propagande et d’une agitation de lyrisme politique, ni d’une participation à la poésie de circonstance, mais la présentation toute naturelle, de ses goûts, de ses libres choix, et de ses échanges d’amitié avec le peuple : tout cela donc qui conditionne son esthétique de clarté et qu’il revendique à bon escient Dans « Pour qui j’écris  » il déclare :
« Non, je n’écris pas pour maintenir les ténèbres,
Pas davantage pour être emprisonné
Par de livresques œuvres,
Mais pour les hommes simples,
D’ obscures jeunes filles
Qui réclament l’amour, l’eau, le pain tributaire,
La grâce des fleurs tranquilles,
Les vagues qui construisent les heures fortes,
Les données de l’ordre immuable :
École, respect, langue, et tambour. »

Le cordial signe qu’émet le son de son poème, il doit pouvoir frapper les oreilles du paysan, du pêcheur, de l’ouvrier et tous en lisant ses vers diront peut-être (après sa mort) : « c’était un camarade ». Il ne désire, dit-il, rien de plus, car « c’est la couronne qui me convient ». Et il insiste encore pour qu’à la sortie des usines et du travail, sa poésie soit là, présente, au beau milieu de la voie collective, que la justice serve au triomphe de « l’homme harcelé » .

Corbin ce fou de la lumière

Logiquement s’adressant au peuple, cela conditionne la nécessité de lui parler de se faire entendre non pas platement! selon la communication banale des usagers de la parole, mais dans une langue imagée, rythmée, imaginative et émotionnelle, celle du poète qui lui permet de saisir en profondeur ce que, peut-être, il lui est difficile d’accrocher par l’intellect. Il usera de la langue du cœur, et communiquera son savoir humain, par un échange qui va de l’âme à l’âme, nouant la relation identitaire qui part de lui aux autres, dans un ensemble commun.
La langue sera familière,le dialogue à mi-voix chaleureux, et ses « confessions » seront marquées au coin de la sincérité, de l’authentique sympathie, donc sans emphase. Corbin est le poète de l’intimisme partagé écartant les éclats de voix mesurant le ton et recréant un climat de compréhension confortable où la vérité se tait jour. C’est ainsi qu’il saisit de sa lumière intimiste tous les , »Lieux d’ombre », où se sont réfugiés, au cours du temps, par refoulements les stratifications et les résidus de tous les chocs sentimentaux, les traumatismes des douleurs, les traces des peines et chagrins, les meurtrissures de l’amour, les déchirements sociaux, les bouleversements tragiques des faits et des événements politiques.
Corbin, ce fou de la lumière, armé du glaive de l’éclair, vit l’exigence de clarté toujours plus grande, et c’est ce qui justifie l’effervescence de la sensibilité dont je parlais, car étant pleinement homme sous le soleil des tropiques, rien ne lui était indifférent ou étranger. S’agissant de l’homme, de l’enfant de la femme, de la nature, du vent de la mer, de la pluie, des sites, des choses, des animaux, des étoiles et des rêves, de l’invisible même, il est poreux à tous et à tout, et sa voix n’a pour fonction que de chanter la vie, sa qualité de beauté. Le poète remonte dans son passé d’ombre, de ‘ son histoire enténébrée, il en fait tout un inventaire, pour réhabiliter ici des êtres chers, un père ; là, une jeune fille trop tôt disparue dans sa beauté ; par ailleurs, un frère-poète, Guy Tirolien, un autre décrié, Daniel Thaly, un leader noir d’Afrique du Sud, Nelson Mandela. Ce n’est pas tout, il prend la défense de la tendresse et de l’amour, réclame justice pour les enfants du Tiers-monde, manifeste pour le maintien des traditions et la sauvegarde du patrimoine ; il salue, comme un ami, le fromager séculaire, embrasse la mer, parle de l’eau, danse avec le vent. Il est partout dans le monde, habite « la foule des astres en perpétuel mouvement ».
En conclusion, la poésie de Corbin est à tous égards, une lumière qui tait justice de toutes choses. Elle me rappelle un peu celle du poète américain Walt Whitman, dont Aimé Césaire célébrait naguère « le grand coeur ».

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* Georges Desportes, né en 1921 à Ducos en Martinique est romancier, poète et essayiste. Il a également écrit des critiques littéraires et des pièces de théâtre. Il fut responsable des programmes à RFO, adjoint du Directeur Artistique et également collaborateur de la revue culturelle « Les Cahiers du Patrimoine ».

Il est, pour l’instant, Président de « l’Institut Aimé Césaire des Arts et des Lettres des Amériques et de l’Afrique ». Ami d’Aimé Césaire, il a croisé sur sa route de Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas ou encore André Breton.


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