— par Yves-Léopold Monthieux —
La moralisation de la vie politique sur fond de l’affaire Fillon a été l’argument déterminant de la dernière campagne présidentielle. Elle a trait aux rapports des élus à l’argent public et concerne plus particulièrement les députés et les sénateurs. Il en est résulté le triomphe à l’élection présidentielle de celui qui incarnait les promesses de changement des mœurs politiques et une arrivée massive de nouveaux députés. Cependant, maintenant que ces derniers sont sous la douche des privilèges, leur ardeur s’est émoussée. Ils ne sont plus pressés de les supprimer. Mieux, ces mesures auraient, selon eux, des vertus qui ne leur seraient pas apparues jusque-là. Notons que la première victime de la moralisation est le ministre qui avait été chargé de rédiger la loi.
Ainsi, le professeur Bernard Debré vient confirmer la vocation essentiellement clientéliste de la dotation parlementaire qui permet à chaque député de saupoudrer son électorat. Chaque aide financière accordée à une association, di-il, donne lieu à des remerciements publics où les qualités du bienfaiteur sont soulignées, autant que possible devant les caméras de télévision. Lorsqu’il s’agit d’aides accordées aux communes, les maires se dispensent rarement de rappeler le moment venu à leurs administrés à quel parlementaire ils le doivent. Ainsi donc, une dotation de 130 000 euros par an, pour les moins bien servis, cela fait 650 000 euros à distribuer pendant la législature. Ce sont des sommes qui permettent à un élu qui sollicite sa réélection d’ « arroser » copieusement sa circonscription pendant 5 ans et de se retrouver dans une situation particulièrement avantageuse par rapport à ses adversaires. On a bien vu lors des dernières élections que le bilan des sortants a surtout consisté à rappeler quelles ont été les aides qu’ils ont accordées à ce titre aux communes et associations. Aussi, il n’a pas échappé aux députés de la République En Marche, qui sont quasiment tous inconnus dans leurs circonscriptions, l’intérêt qu’ils auraient, en vue de leur réélection, au maintien de la dotation parlementaire.
Mais au plan juridique, l’argument qu’il me tardait d’entendre a été récemment formulé par le député du MODEM, Jean-Louis Bourlanges. La réserve parlementaire, dit-il, permet au député et au sénateur de s’ériger en ordonnateur, ce qui contrevient au principe de la séparation des pouvoirs. Pour ma part, au-delà de l’aspect clientéliste de la démarche, je me suis toujours étonné de cette curieuse confusion qui permet d’accorder au législateur un véritable pouvoir exécutif, celui d’accorder des aides financières. A cet égard, je trouve assez hypocrite l’argument qui consiste à dire que c’est l’assemblée qui paie et qu’aucun argent ne transite dans les mains de l’élu. C’est le propre de l’ordonnateur. La vérité c’est que l’élu est seul maître du choix du bénéficiaire de l’argent public et décide seul du bien-fondé du besoin exprimé.
Par ailleurs, la comparaison est souvent faite entre les parlementaires français et ceux des Etats-Unis qui auraient, eux, une pléthore de collaborateurs. D’abord, les élus américains sont nettement inférieurs en nombre et, plus encore, en proportion des populations, que leurs collègues français. C’est également oublier que le rôle des premiers est plus grand que celui des seconds. Un peu comme les cabinets d’avocats qui, aux Etats-Unis, ont un pouvoir d’investigation qui n’existe pas en France. D’ailleurs, cette distinction limite très sensiblement le caractère présidentiel du pouvoir américain. En revanche, le régime politique français, mi-présidentiel mi-parlementaire, se caractérise par la présence d’un président de la république ayant davantage de compétences que son homologue des Etats-Unis. Rappelons que le pouvoir réglementaire – décrets, arrêtés, circulaires ministérielles – est la règle sous la 5ème république. Les domaines de compétence du pouvoir législatif sont limitativement énumérés (article 34), tout le reste est du ressort du pouvoir exécutif. Certes, les rapports sont différentes lorsqu’il y a cohabitation, ce qui est devenu quasiment impossible depuis l’avènement du quinquennat présidentiel. On se trouve alors presque en présence d’un autre régime politique, plus parlementaire que présidentiel. Mais dans tous les cas, les grosses équipes de travail se retrouvent au sein des cabinets ministériels où se rédigent les lois.
Si la réserve parlementaire est finalement supprimée, ce qui est probable, il restera la réserve gouvernementale qui permet aux ministres d’arroser leurs amis sans en référer à quiconque. Cependant, du fait de la mise à l’écart volontaire de toute activité ministérielle, la Martinique est peu concernée par cet autre instrument légal du clientélisme.
Fort-de-France, le 26 juillet 2017
Yves-Léopold Monthieux