L’ économie  des Antilles françaises piégée par le syndrome des délices de Capoue ? 

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

Nous vivons aujourd’hui des temps troublés avec un choc sanitaire, et un contre-choc économique et social lié à la pandémie de coronavirus. Tout laisse accroire que cela annonce des jours difficiles. Et c’est pourquoi les Martiniquais et Guadeloupéens ne doivent pas être les victimes expiatoires du syndrome des délices de Capoue. Nous réitérons notre précédent avertissement à l’usage des martiniquais et Guadeloupéens de ne plus s’abandonner  au plaisir de l’immédiat , à la satisfaction de l’instant préférés à la mise en oeuvre de projets novateurs sûrement plus profitables à terme ; nous devons retrouver le goût de l’effort et en finir avec le choix de la facilité de vie au détriment de l’efficacité ou de la durabilité de notre mode de vie. 
Nous avons hérité d’un modèle social de qualité – la départementalisation- ne l’oublions pas – qui amortit le choc de la crise pour une grande partie de la population, qui continue en effet d’être payée et recevoir des prestations sociales et ce malgré des cessations d’activité . C’est un système qui reste relativement protecteur, si on le compare au modèle des pays de la Caraïbe , par exemple, où l’impact de la Covid 19, en matière d’emploi sera sans nul doute beaucoup plus grave. Mais notre système n’est pas immuablement destiné à perdurer en l’état, et c’est particulièrement évident en temps de crise.

Qui ne  sait ce que l’on doit entendre par les délices de Capoue ? … Décryptage !

La ville italienne Capoue accueillit en 215 avant JC les troupes d’Hannibal. Il venait de reprendre celle-ci, qui était connue pour la facilité de la vie et les multiples plaisirs auxquels on pouvait s’adonner. Après une longue période de repos dans cette ville, les Carthaginois perdirent l’habitude du combat et ne tardèrent pas à être battus par les Romains qui, en guise de vengeance, rasèrent Capoue. On dit qu’une personne « s’endort dans les délices de Capoue » lorsqu’elle a tendance à se laisser bercer par une vie trop facile et sans contrainte.

C’est désormais le cas d’espèces que vit concrètement la France et par voie de conséquence  la Martinique et la Guadeloupe . Trop de laisser aller dans la dépense publique par le gouvernement français et trop de dérives dans la gestion des collectivités locales en Martinique et Guadeloupe.
En réalité, il y a bien plus de cheveux blancs à se faire maintenant en Martinique mais surtout en Guadeloupe tant sur le plan économique que sur le plan sanitaire. Car dans le contexte actuel , une fois l’urgence sanitaire passée, beaucoup craignent que la potion du marasme économique et du désendettement soit amère à avaler . C’est bien un avis de tempête économique qui plane désormais sur la Martinique et la Guadeloupe ! 

Il ne s’agit pas de nier les difficultés auxquelles nous faisons face aujourd’hui, et auxquelles nous devrons faire face demain. Mais le discours catastrophiste peut aussi être paralysant, et nous amener à oublier que la solution est politique à savoir revoir notre modèle économique et social actuel . Nous traversons aujourd’hui une épreuve commune, qui concerne tous les citoyens , une épreuve qui met en lumière nos forces mais aussi nos fragilités et leurs conséquences concrètes. 
L’effondrement économique qui se prépare dans certains secteurs , et dont l’intervention massive de l’État  a permis de repousser les prémices d’une crise économique et sociale , obligera  la Martinique et la Guadeloupe à des choix très contraints. Deux possibilités s’offriront :  Une certaine forme d’autonomie politique mais sans aucune marge de manœuvre budgétaire et financière, ou l’étatisme low cost avec l’instauration imposée par l’Etat d’un revenu universel de base de 1000 euros pour tous . 

L’ampleur de la crise à venir dépendra des choix politiques qui vont être faits. 
Nonobstant le déni de réalité de certains esprits chagrins et activistes nostalgiques d’un passé révolu, nous sommes désormais confrontés, encore et plus que jamais à une crise systémique , structurelle et durable de l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe…. Consommation des ménages, investissements des entreprises… plusieurs indicateurs devraient  passer au rouge l’année prochaine dans les deux îles sœurs .  la crise sanitaire et les nouvelles annonces du préfet de la Guadeloupe provoqueront très certainement un nouveau coup d’arrêt à l’économie .

Sous le choc. L’annonce de mesures restrictives par le préfet  de Guadeloupe a créé de la « sidération » et de réelles « inquiétudes »sur l’éventualité d’un nouveau confinement.

La Guadeloupe serait-elle donc à l’aube d’un nouveau séisme sanitaire, que traduirait un taux de positivité des tests remonté de 1,4 % à 6,5% ? L’angoisse est en tout cas perceptible, mêlée de crainte pour l’avenir de notre économie. Ce n’est pas aussi anecdotique que ça. La gestion de l’ordre sanitaire et du désordre économique est un dilemme permanent, aussi bien pour nous-mêmes que pour les entreprises. Jusqu’à présent, le nombre de faillites reste très mesuré au regard des effets de la crise sur l’économie . Mais la situation pourrait rapidement se dégrader.
Selon les projections , les aides de l’Etat devraient maintenir à flot les entreprises jusqu’à la fin de l’année. Mais 2021 s’annonce redoutable avec une hausse attendue de 36 % des défaillances d’entreprises.
Résultat , nous estimons que plus de 1.000 entreprises seront en situation de défaillance en 2021 en Martinique et Guadeloupe .

Avec cette hausse d’environ 30 % des faillites en 2021, la Guadeloupe afficherait ainsi le taux le plus élevé des principaux territoires d’outre-mer. 
Le directeur de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM), s’est dit inquiet face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 sur l’économie locale. 

Les aides massives de l’Etat permettent, pour le moment, de maintenir à flots les entreprises guadeloupéenne et martiniquaises , très affectées par la crise économique.

Mais cela ne devrait pas durer puisque les entreprises déjà fragiles avant la crise devront honorer leurs engagements, comme le remboursement du Prêt garanti par l’Etat (PGE) ou le paiement du décalage de charges.

L’économie des Antilles françaises risque de subir un choc fort et durable, mais qui pourrait être nuancé en fonction du poids du secteur public . L’importance du secteur public sur le territoire Martiniquais et Guadeloupéens  pourrait ainsi être un atout et jouer un rôle d’amortisseur des différents effets que la crise va produire. 
Dans ce contexte, Il faut absolument voir dans cette crise économique une opportunité pour les décideurs de repenser le modèle économique et social et de développement de la Martinique et de la Guadeloupe notamment pour ce qui concerne le tourisme . 
À la Martinique , le secteur touristique et de la restauration, affiche déjà 57 millions d’euros de pertes à cause de l’impact du COVID19. Pour ce qui concerne la Guadeloupe, l’estimation des pertes serait de l’ordre de 61 millions d’euros. Chez les pays voisins, la situation est encore plus critique.

Dans les différents pays de la caraïbe le tourisme peut représenter entre 50 et 90% du PIB. À Sainte-Lucie, par exemple, 65% des revenus proviennent de l’industrie touristique. C’est également le plus grand secteur d’embauche dans la région.
 
L’impact du COVID19 a démontré à quel point l’industrie touristique est fragile. La pandémie a exposé la vulnérabilité de la région. Du jour au lendemain, les pays de la Caraïbe ont perdu leur source principale de devises.
La pandémie du COVID19 a décimé cette industrie dans la région et a mis en évidence la forte dépendance d’un seul secteur économique
Le choc est tel, qu’il faut se poser des questions pour savoir comment on va continuer, se demander comment va être le monde d’après. Une question hante particulièrement les experts économiques , c’est celle de la problématique de la future baisse inéluctable de la dépense publique et par voie de conséquence celle de la réduction attendue des transferts publics pour l’Outre-mer . En effet, les finances publiques de la France risquent d’être mis à mal par la crise, et cela aura automatiquement des répercussions financières sur nos régions ultramarines.

La dette de l’Etat a notamment progressé  détaille l’Insee, pour financer les mesures de chômage partiel, les reports de charges et compenser la baisse des recettes fiscales du fait de la chute de l’activité économique.

La dette publique française a gonflé fin juin à 114,1% du produit intérieur brut (PIB), soit 2.638,3 milliards d’euros, en hausse de 12,7 points par rapport à fin mars, soit la plus forte augmentation trimestrielle depuis que l’Insee publie cet indicateur, en 1995, a-t-il rapporté ce vendredi.

La dette des administrations de sécurité sociale (Acoss, Cades, Unédic, hôpitaux et Cnaf) augmente aussi fortement de 84,9 milliards d’euros, du fait des mesures de chômage partiel et des reports et des annulations de cotisations sociales décidées pour soutenir les entreprises en difficulté durant le confinement, mais également en raison de mesures nouvelles comme les 28 jours de congés pour les pères et qui coûtera la bagatelle de 500 millions d’euros supplémentaires.

Enfin, la dette des administrations publiques locales (Apul) est également en hausse (+2,7 milliards), mais de façon moins importante.

Du fait de la crise du Covid-19 et des dépenses engagées, le gouvernement s’attend à ce que la dette s’envole à 117,5% du PIB cette année.
La situation alarmante de nos finances publiques est presque absente du débat actuel sur la crise du Covid 19.
Prière donc de ne pas s’inquiéter de l’injection massive de milliards de dépenses publiques dans l’économie française menacée par l’épidémie de Covid-19 et une destruction d’emplois sans précédent à la fin du second semestre 2020. Néanmoins, la peur devrait bientôt s’installer dans les esprits des martiniquais et guadeloupéens. La peur du chômage de masse, la peur de la violence , la peur de la destruction créatrice de la révolution numérique et l’intelligence artificielle, la peur du lendemain pour les jeunes diplômés, la peur d’être considérés par la  » Métropole  comme des éternelles danseuses avec pour conséquence la menace réelle du désengagement financier de l’Etat déguisé en prise de responsabilité avec l’autonomie , la peur de l’exclusion sociale, la peur de l’explosion sociale. La peur d’une crise sociale qui illustre la restriction de l’effort financier de l’Europe pour les outre-mer et le risque de déclassement social pour la classe moyenne de Guadeloupe et la Martinique ( celle qui a tiré le plus de bénéfice de la départementalisation) . Aujourd’hui, nous n’avons plus à avoir peur de ces peurs-là puisqu’elles ne sont plus en nous mais bientôt sous nos yeux. Puisqu’elles ne sont plus un sentiment de peur mais bien une réalité avec des gens de plus en plus nombreux qui ont peur de la fin de l’Etat providence .
Mais la  morale que l’on peut déjà tirer de ces difficultés à venir peut être extraite de ce proverbe créole :  « Ayen difòs pa bon » (La force n’est pas bonne conseillère )…. Il faut laisser mûrir les choses ….et anticiper en douceur.

Jean-Marie Nol, économiste