Carnets de route, jour 5
Une fois récupérée ma voiture de location je file vers le nord en direction de Haïffa et Akko. Les routes sont belles, bien entretenues. Une halte à Césarée, dévastée par les croisés, les mamelouks, les Ottoman et qui voit maintenant ses ruines envahies par les marchands de souvenirs, les restaurants et autres boutiques pour touristes. Je ne m’attarde pas. La prochaine étape sera Haïffa le port du nord, troisième ville du pays. L’arrivée se fait par des quartiers industriels et sans doute industrieux mais sans charmes particuliers. Il faut arriver dans le quartier de l’ancienne colonie allemande pour découvrir une merveille au bout de sderot Ben Gurion, le sanctuaire bahaï et ses jardins en escalier dans un ordonnancement à la française.
Le bahaïsme est un de ces derniers avatars abrahamiques et monothéistes apparus sur cette planète. C’est à la fin du 19ème siècle, en 1863 précisément que le Persan Mīrzā Ḥusayn-ʿAlī Nūrī (1817-1892) fonde cette religion dont le slogan favori pourrait être « Religieux de tous pays, unissez-vous ». Fils d’un fonctionnaire du gouvernement du shah d’Iran il refuse à la mort de son père de prendre sa succession. Il est alors agé de 27 ans. Il va passer les trois années suivantes à aider les opprimés, les malades et les pauvres et finit par adhérer au babisme un mouvement messianique comme il en a existé beaucoup au XIXème siècle tant chez les chrétiens, tels les adventistes que chez les musulmans chiites. C’est toujours la même attente d’un messie avant le jour de la résurrection et du jugement. Et il y en a toujours un parmi les fondateurs qui va partir jeûner et prier 40 jours dans un désert, qui va revenir illuminé annoncer la bonne nouvelle. La venue d’un messie est proche. Repentez-vous, ect. Le scénario est connu et il se répète. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir aujourd’hui à Jérusalem un de ces individus persuadé d’être l’envoyé de Dieu et de le proclamer haut et fort. C’est ce qui va arriver à notre Persan Mīrzā Ḥusayn-ʿAlī Nūrī en avril 1863 à Bagdad. Il se déclare être le Bahāʾ-Allāh (en arabe, « Gloire de Dieu » ou « splendeur de Dieu ») annoncé et attendu par le Bâb. Cette révélation va le conduire non pas sur une croix ou un bûcher mais en prison. Ce qui est un sort quand même plus enviable pour les dissidents ou hérétiques. C’est donc de la prison de Saint-Jean-d’Acre ( Akko) à une vingtaine de kilomètres d’ Haïffa qu’il va faire ses prédications par écrit avec objectif de créer une religion mondiale unifiée, un espéranto de la croyance en promouvant des valeurs humanistes telles la justice universelle, la fraternité, l’égalité homme femme. Ce qui pour les monothéismes patriarcaux n’est pas une mince affaire. En tout cas est-il que Bahāʾ-Allāh va passer les quarante dernières années de sa vie soit en exil soit en prison dont il finira quand même par sortir pour s’installer à la campagne, à Haïffa, où il mourra, où il sera enterré et qui deviendra donc un haut lieu de pèlerinage. Donc aux juifs, aux musulmans sunnites, aux musulmans chiites, aux chrétiens orthodoxes, coptes, arméniens, catholiques, protestants, (j’en passe et des meilleurs (?)) aux hérodiens, il faut ajouter les bahaïs. Tous persuadés d’avoir la religion vraie…
Le jardin du sanctuaire dévale le mont Carmel en dix-neuf terrasses de part et d’autre du mausolée, offrant un panorama et une perspective époustouflants sur la baie de Haïffa. Au pied du mont le quartier de la colonie allemande concentre les restaurants pour touristes et on y mange plutôt bien.
Akko, Acre, ou Saint-jean d’Acre au nord est une magnifique ville fortifiée pleine de vie dans laquelle le plaisir consiste à se perdre dans les ruelles, pour y découvrir mille recoins, milles émerveillements, mille scènes de la vie quotidienne de ce port de pèche. Promenade en fin d’après-midi sur les remparts d’où se jettent en cabrioles dans la mer des adolescents qui se lancent des défis.
Les Britanniques, sous leur mandat y enfermèrent des activistes de l’Irgoun et du groupe Stern. Huit d’entre eux y furent pendus par les autorités de Sa Gracieuse Majesté. Akko est donc aussi un lieu de souvenir.
En fin d’après-midi, je quitte avec regret Akko pour me rendre au lac de Tibériade et c’est en cours de route je m’aperçois d’une erreur dans mes dates de réservation d’hôtels. La nuit qui vient n’a pas été programmée J’arrive à la nuit tombée à Ein Guev, sorte de trou du cul du diable, sans savoir où dormir. Il y a plus inquiétant dans la vie!
Juin 2016,
R.S.
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