23 novembre 19h au Carbet.
— Par Roland Sabra —
Dans le cadre des « Classiques revisités », la thématique du premier trimestre de Tropiques-Atrium Scène nationale, Hassane Kassi Kouyaté ( H2K) propose d’explorer « George Dandin, ou le mari confondu ». Mission ? Explorer ? De quoi s’agit-il pour lui ? De réinvestir son talent internationalement reconnu dans la formation et le perfectionnement du travail de comédiens antillais. L’argument de la pièce de Molière est connu de tous. Un paysan enrichi épouse une fille de nobliaux désargentés espérant par là acquérir quelque respectabilité. Las ! Son épouse et ses beaux-parents méprisent un mari et un gendre de si basse extraction. Sa femme n’aura de cesse de revendiquer une liberté entravée par les liens d’un mariage arrangé et pour lequel elle n’avait aucun penchant !
Lecteur naïf ou metteur en scène expérimenté nul n’est épargné par la question troublante : qu’est ce Molière a voulu dire dans ce « divertissement » royal offert à la cour de Louis XIV ? Ce diable d’homme avait plus d’un tour dans sa plume. Plus d’un siècle avant la Révolution française annonce-t-il en la personne de Dandin l’avènement politique d’une classe bourgeoise issue de la paysannerie et le déclin corrélatif d’une noblesse en voie de décomposition ? Est-ce une simple farce autour de la thématique cent fois rabâchée du mari cocu, de la coquette, des rapports entre maître et valets ? Bien des metteurs en scène ont souligné le coté tragique de ce divertissement notamment en ce qui concerne le destin de Dandin. Molière se plaît par ailleurs à démolir, scène après scène la prétendue supériorité morale de la noblesse tout comme il s’était attacher à dénoncer la fausse piété du clergé dans son Tartuffe.
H2K propose une lecture innovante en accentuant une thématique chère à l’illustre Molière, féministe, si l’on peut dire, le qualificatif est une image n’ayant aucun sens pour l’époque, mais qui signale une attitude en rupture avec les us et le coutumes en vigueur. D’autres avant lui avaient repéré cette ode à la liberté de la femme mais peu, à ce que l’on sache, l’avaient mis en exergue avec tant d’acuité. H2K construit une Angélique qui revendique sa pleine autonomie de sujet, en un mot, sa liberté. Elle n’accepte pas d’avoir été mariée, achetée par Dandin, vendue par ses parents comme un objet, rendue au statut de meuble…
Dans la scène II de l’acte II, juste au beau milieu de la pièce, Angélique lance à son mari « … M’avez-vous avant le mariage demandé mon consentement, et si je voulais bien de vous ? Vous n’avez consulté pour cela, que mon père, et ma mère, ce sont eux proprement qui vous ont épousé, et c’est pourquoi vous ferez bien de vous plaindre toujours à eux des torts que l’on pourra vous faire. Pour moi, qui ne vous ai point dit de vous marier avec moi, et que vous avez prise sans consulter mes sentiments, je prétends n’être point obligée à me soumettre en esclave à vos volontés…» juste après avoir précisé : « Comment, parce qu’un homme s’avise de nous épouser, il faut d’abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les vivants ? C’est une chose merveilleuse que cette tyrannie de Messieurs les maris, et je les trouve bons de vouloir qu’on soit morte à tous les divertissements, et qu’on ne vive que pour eux. Je me moque de cela… »
C’est Armande Béjart, « La Molière », que l’auteur a épousé quelques années plus tôt qui crée le rôle. Difficile donc donc de considérer Angélique comme une femme méchante, qui trompe son mari, qui le ridiculise et qui le pousse au suicide comme quelques spectateurs, tous des hommes, ont pu le dire après la représentation. Les femmes, elles n’ont pas été dupes. Un groupe d’entre elles, artistes de scène, se sont penchées, à la sortie, reconnaissantes vers H2K : « Merci, pour les femmes ! »
Une autre dimension, est suggérée plus que mise en avant. Elle apparaît avec moins de clarté. Celle de ce penchant aux petits arrangements, aux petites combines, pas spécifiquement propres à la société martiniquaise, mais bien présentes néanmoins. Le personnage de Colin, que certaines mises en scènes évacuent complètement, est là présent de bout en bout. Mémoire silencieuse, tout de blanc vêtue elle guide sans mots dire les pas et les rôles des présences sur scène. Elle sait ce qu’il en est de certains accommodements. Muette, mais bavarde en son silence, elle est un passé toujours présent et qui insiste. Faut-il préciser davantage?
Les costumes campent d’emblée les personnages. Dandin en chemise haïtienne, chaîne en or autour du cou(?), est l’image du parvenu, de celui qui s’affiche et qui pense que l’argent achète tout, Lubin en bouffon, dont la bêtise est le reflet de celle de son maître, Clitandre qui, s’il porte cravate, est affublé d’un cycliste pour pantalon. Tel valet, tel maître. Angélique est trop intelligente pour être réellement amoureuse d’un pauvre type dont elle ne souffre la compagnie que pour se distraire de l’indicible ennui que lui cause son mari et s’échapper un moment de la prison conjugale. Monsieur et Madame de Sotenville pavoisent dans la blancheur immaculée de leurs costumes, et quand Monsieur s’essaie à la couleur il ne quitte jamais sa canne, ce bâton qu’il brandit comme une menace. Ce Monsieur de Sotenville se flatte d’avoir un ancêtre parti s’installer « outre-mer ». Claudine est nattée serrée. Elle participe de la révolte d’Angélique dont elle a épousé la cause (des femmes) et elle instrumentalise Lubin, ce pauvre hère, qui ne mérite guère d’autres considérations.
Tels sont semble-t-il quelques uns des partis-pris de la mise-en scène. Ils sont cohérents avec le texte de Molière qu’ils ne trahissent pas et que bien au contraire ils servent plutôt bien. Sont-ils partagés par la troupe qui est sur le plateau ? La question peut se poser. Monter une pièce du répertoire avec exclusivement des comédiens antillais est fort louable en soi. Il faut bien admettre que la palette de choix est infiniment plus restreinte qu’en Europe, qu’en Afrique, pour ne prendre en considération que ces deux espaces. Le moindre casting mobilise en ces lieux, pour chaque rôle, nombre de candidatures. L’étroitesse du territoire caribéen francophone réduit considérablement l’offre de la part des postulants. La tendance au surjeu, la fâcheuse manie de chanter les répliques, le professionnalisme peu aguerri de certains qui oublient leur texte, dérapent, ces défauts sont toujours là. Faut-il aller chercher ailleurs ce qui manque ici ? Non ! Le travail de formation que H2K a entrepris doit être poursuivi, amplifié, il doit trouver sa traduction dans la création d’une École des arts de la scène, si souvent annoncée et toujours dans les limbes.
Oui il faut aller voir ce George Dandin original par la lecture qu’il propose et pour encourager une palette de comédiens et comédiennes qui dans l’ensemble ne déméritent pas et font du mieux qu’ils peuvvent. Lors de la première au Marin le public a pris son plaisir au déroulé de la performance. Une partie de celui-ci, visiblement peu habitué au théâtre a participé activement aux répliques. Et c’est là un autre enseignement de cette soirée. La structure modulaire permet aux programmes de Tropiques-Atrium d’aller à la rencontre d’un public qui ne vient pas à Fort-de-France. Ce chapiteau itinérant est une des plus fortes, si ce n’est la plus forte, idées de diffusion, allez osons le mot, de popularisation de la culture, mises en oeuvre ces dernières décennies en Martinique. Ce Monsieur Dandin antillais est tout à fait en adéquation avec les objectifs de la Scène nationale, populaire et de qualité.
Oui vraiment il faut aller voir ce George Dandin !
Fort-de-France, le 14/11/2016
R.S.