Yna Boulangé dans une mise en scène de José Exélis du troisième volet de l’œuvre de Marie Vieux-Chauvet ( Photo Philippe Bourgade)
— Par Roland Sabra —
« Folie » le troisième volet de l’œuvre de Marie Vieux-Chauvet nous est proposé dans une adaptation de José Pliya et une mise en scène de José Exélis avec pour unique comédienne Yna Boulangé. Il y a toujours cette difficulté de l’adaptation d’un texte romanesque au théâtre. José Pliya, spécialiste en la matière, en connait les affres et les tourments avec d’assez belles réussites quoique toujours limitées par la structure du texte qui quelques fois fait résistance. Adapter sans trahir, telle est la gageure. Pour « Folie » le pari est gagné, dans la mesure où l’on croit, par instant, reconnaître le texte en l’entendant. La fidélité est d’esprit. C’est la plus sûre.
Le plateau est nu comme à l’accoutumé chez Exélis, une ronde de terre rouge occupe une grande partie de l’espace, un fil avec deux rideaux blancs, la traverse sur la partie arrière-gauche, deux petits ilots de cette même terre sur le coté droit et en toile de fond, une immense photo d’astre lunaire qui bougera peu, juste remplacée un moment par un mur d’images de guerres immémoriales.
Cécile, dans une méchante petite robe bleue nous conte les éclats de vie et le trépas d’un poète qui l’aimait dans cet Haïti chéri, forcément chéri en proie à la dévastation, à l’auto-destruction et, en un mot, à la mort. L’intelligence de la mise en scène est d’avoir confié à une artiste, danseuse de formation l’indissoluble liaison entre l’ici-bas et l’au-delà, l’élévation poétique et l’abaissement comparé des urgences du corps, l’appel de la raison et le cri de la chair, la distance de la réflexion et l’impétuosité de la pulsion. Yna Boulangé rayonne dans l’expression charnelle du doute et de la nécessité. Subtilement elle joue et se joue avec une sensualité amoureuse de la matérialité qui se défait sous l’éclat des bombes, des rafales de mitraillettes. La scénographie et les lumières qui valorisent les tons chauds soulignent en faisant contrastes la dévastation suggérée par la destruction progressive du cercle ordonné de la ronde tracée au sol. La corporalité du jeu de la comédienne donne à entendre de façon tout à fait nouvelle le texte, que l’on croit reconnaître. Le désordre des sens auquel elle invite fonctionne comme une image du désordre de la réalité qu’elle évoque. Un peu de terre, une comédienne et voilà Haïti sur scène. Le talent est quelque chose de ce registre là. Le mérite du travail présenté repose donc sur cette capacité à évoquer ce qui n’est pas montré pour le rendre encore plus présent. « Travail sur le corps » nous avait dit le metteur en scène dans une note d’intention. Et cette intention à été réalisée, bien réalisée même. Il reste à élaguer comme toujours au fur et à mesure de la confiance conquise au fil des représentations. Une épure du jeu avec les rideaux, une accentuation de l’incorporation du texte par la comédienne, une modulation plus fine des différents registres langagiers d’une prose pas facile à dire sont des pistes dont on peut être sûr qu’elles ne seront pas délaissées. Un regret et de taille : pourquoi si peu de représentations ?
R.S. le 13/10/2011
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