« TIO, itinéraire d’une enfant de Brassens » de Christina Rosmin
— Par Dominique Daeschler —
Tio (Off)
C’est peu de dire que Christina Rosmini a de l’abattage. Il fallait un certain culot pour s’approprier l’héritage de Brassens à travers sa propre histoire familiale. Petite fille d’ouvriers venus d’Espagne, d’Italie, de Corse, Christina Rosmini fait entrer Brassens dans la tribu : que dieu reconnaisse les siens ! Brassens c’est « un tio », l’oncle qui donne par ses chansons accès à une poétique que chacun peut ressentir. Entre flamenco et chanson à texte, Christina Rosmini danse, conte, saisit sa guitare, passant d’une langue à l’autre (admirable version franco espagnole de Saturne) tout en déroulant une histoire qui prend en compte une documentation sérieuse sur le chanteur. C’est enlevé et inventif. La voix est sûre, colorée comme un arc en ciel qui connaît les tumultes de l’orage. L’accompagnement de musiciens chevronnés (percussions et guitare) ponctuent, relancent, ajoutant à la perfection de ce spectacle peaufiné. Un double regret : un espace confiné qui ne permet pas de parler de mise en scène et un décor trop banal et convenu pour la densité de la parole et du jeu.
Dominique Daeschler
Pur Présent (In)
Olivier Py, féru de tragédies grecques et traducteur d’Eschyle, met en scène trois tragédies contemporaines dont il a commis l’écriture. Jouées à la suite, avec trois comédiens et un pianiste, La Prison, l’Argent, le Masque, développent à partir d’une situation de confrontation et la certitude que tout acte est politique le questionnement essentiel du « vivre debout ».
Se situant hors, au-delà delà loi, ce « vivre debout » qui appartient à chacun dans son cheminement est difficile à construire. Empêtrés que nous sommes dans des comportements induits, subis, comment pouvons nous prendre les rênes d’une dignité dans le respect de soi-même et des autres ?
Sur un petit plateau carré aux allures de ring, ouvert pour le public sur trois côtés, se déroule comme un match ou l’on compte les coups et les points, ce cycle de trois pièces qui appelle la joute oratoire avec ses échappées poétiques et musicales, comme autant de cailloux de Petit Poucet. Les acteurs sont sans échappatoire (rôle du chœur). En pleins feux, on décortique le geste, le mouvement, le verbe, l’espace gagné ou perdu, le sens. La langue de Py est surprenante : lyrique, parfois à la limite du mélo, familière. Elle est ouvrière au sens noble du terme car elle assemble.
Ces trois pièces qui s’emboîtent sont lieux de confrontation : prêtre et caïd en prison déroulent pèle mêle la lutte des classes l’injustice sociale, l’humiliation et l’amour (on pense à Bernanos). L’argent avec ses corollaires de mépris, de cynisme de calcul engendre le parricide d’une société à travers le père banquier sans scrupules. Le Masque s’inscrivant dans notre « ici et maintenant » où l’algorithme tient lieu de bible et de réveil matin perd en rythme. Peut-être est-ce dû à une construction plus complexe, à l’évocation de nombreux personnages. Sans doute cet essoufflement tend à un demander un traitement particulier de la pièce (longueur, isolement) pour garder le besoin de transcendance qui parcourt le cycle. C’est bon signe même si la révolte ne fait pas les révolutionnaires.
Dominique Daeschler