— Par Dominique Daeschler —
Certaines n’avaient jamais vu la mer
C’est à un sujet tabou, l’histoire des américano-japonais de la seconde moitié du 19esiècle à Pearl Harbor, que sont attaqués Julie Otsuka dans son roman puis Richard Brunel dans l’adaptation.
A une première émigration de travailleurs japonais aux USA succède une période d’établissement avec la mise en lace de ghettos urbains et l’arrivée en masse de femmes venues du Japon épouser des compatriotes inconnus (c’est le point de départ du roman et de la pièce). Sont évoqués la nouvelle génération (enfants nés avec la nationalité américaine) puis à partir de 1942 l’expulsion, l’incarcération, la déportation des américano-japonais.
Le récit qui débute avec l’arrivée des femmes en bateau, donné sur le plateau dans un mode incantatoire par hui femmes et quatre hommes, fait appel au chœur et à la confession individuelle. C’est leur prise de parole qui charpente le point de vue scénique. Des cloisons et des chariots mobiles traversent l’espace à l’unisson d’une mise en scène qui joue du travelling et du gros plan, de la projection du plein écran et du champ contre champ, avec un sol qui se délite comme une terre brûlée.
L’espoir, la violence, la déception, le rejet, le fossé des générations : Brunel picore dans des situations individuelles pour mieux revenir à l’ensemble et montrer la destruction d’une communauté. L’émotion, toujours présente, fait trace et orage. Pouvoir et exploitation se mêlent au racisme, aux déchirures des générations à travers le parcours douloureux de ces femmes. Le récit s’arrête à la déportation en camps ce qui rend encore plus prégnant ce pan d’un passé volontairement effacé des mémoires, de l’histoire d’un pays. A nous de transposer.
Il n’y a pas de volonté d’éclat dans la mise en scène de Richard Brunel. Elle valorise le texte, glisse à petits pas sur ses socques, fixant çà et là des images, ce qui est à la fois pudique et efficace.
Pale blue dot (In)
Une première mise en scène pour Étienne Gaudillère directeur comédien de la compagnie Y. comme tant d’autres cette année à Avignon, ce dernier veut faire sens avec un spectacle construit sur une actualité récente (Wikileaks) : témoignage, investigation, documentaire théâtralisé ? Un drame « à stations » ou un feuilleton rocambolesque ? On rappellera simplement le nom des protagonistes principaux : Manning (la source), Lamo (la balance), Assange (le diffuseur).
Des fuites de câbles diplomatiques américains hautement confidentiels publiés par le biais d’un réseau d’informations en ligne vont oser la question de la toute-puissance des technologies. Entre cryptage et décryptage, profession de foi d’un Wikileaks se voulant transparent, manipulation du pentagone, on ne sait plus où est le pouvoir, qui tire les ficelles.
A chacun ses moyens de pression : les personnages défilent à toute blinde. Les acteurs sont au plateau et sur l’écran puis derrière ou au-dessus. On sort les drapeaux américains et… Hillary Clinton pour les fouler au pied un peu plus tard. Plus vite, plus vite, en route les machinations, le mandat d’arrêt contre Assange, l’assignation à résidence à l’ambassade et l’irruption des Anonymous ! Vous suivez ? C’est brouillon et haletant, se grisant du trop avec humour et malice. A suivre
Dominique Daeschler
Pale Blue Dot. Texte et mise en scène Étienne Gaudillère. Scénographie Bertrand Nodet.