Femina Etranger : Rabih Alameddine pour  » Les Vies de papier »

les_vies_de_papierAvec ce roman, Rabih Alameddine nous propose une variation sur la vie du lettré. Un lettré bien particulier et attachant…

Beyrouth. Aaliyah, la narratrice, est une solitaire : sans mari (le sien l’a quittée peu après leur mariage), sans enfants, sa vie est entièrement dédiée à la littérature. Elle ne vit qu’à travers la littérature. Retraitée, elle a longtemps été libraire. Surtout, tous les 1er janvier, après avoir pris un bain rituel et allumé deux bougies pour Walter Benjamin, elle s’attaque à la traduction en arabe d’un nouveau texte — traduction que personne ne lira jamais et qui ira rejoindre les autres, archivées dans des cartons dans la chambre de bonne de son appartement.

Magnifique hommage à la magie de la langue et des mots, au pouvoir libérateur de la littérature, Les vies de papier est aussi l’histoire d’une femme libre et indépendante, qui ne s’est jamais soumise ni aux hommes, ni à sa famille, ni à la religion, dans un Liban où c’était encore plutôt mal vu. Tour à tour drôle (Aaliyah ne manque certes pas d’impertinence), spirituel, grave et mélancolique, le texte est émaillé d’une multitude étourdissante de références, de citations, d’allusions pas toujours explicitées d’ailleurs, à dessein ; l’ombre de Pessoa, en particulier, Pessoa et tous ses hétéronymes, plane. Point de véritable chronologie : la narration procède par associations d’idées, construit des réseaux, des rhizomes, superposant le Beyrouth d’aujourd’hui à celui de la guerre civile, omniprésente. On se laisse porter par ce texte envoûtant, la voix d’Aaliyah, son culte de la littérature dont on comprend bien qu’elle est son seul grand amour et sa seule religion, ses voisines avec lesquelles elle peine à communiquer, sa famille et sa mère avec qui les relations sont compliquées…

Un très beau roman, qui interroge la place des livres dans la vie et aussi, de manière très intéressante, la question de la traduction (Aaliyah a un curieux système que je vous laisse le soin de découvrir) et ravira les amoureux de la littérature et de la poésie !

Les Vies de papier, de Rabih Alameddine

Les Vies de papier
Rabih ALAMEDDINE
Traduit de l’anglais par Nicolas Richard
Les Escales, 2016

Résumé :
Aaliya Saleh, 72 ans, les cheveux bleus, est inclassable. Mariée à 16 ans à « un insecte impuissant », elle a été répudiée au bout de quatre ans. Pas de mari, pas d’enfant, pas de religion… Non conventionnelle et un brin obsessionnelle, elle a toujours lutté à sa manière contre le carcan imposé par la société libanaise. Une seule passion l’anime: la littérature. Elle a en effet pour les mots un désir inextinguible. À tel point que, chaque année, le 1er janvier, elle commence à traduire en arabe l’un de ses romans préférés. Un travail ambitieux qui finit toujours par échouer dans un tiroir. Car les quelque trente-sept livres traduits par Aaliya au cours de sa vie n’ont jamais été lus par qui que ce soit.

Ce portrait d’une femme solitaire en pleine crise existentielle oscille sans cesse entre passé et présent dans un Beyrouth en constante mutation. Tandis qu’elle essaye de maîtriser son corps vieillissant et la spontanéité de ses émotions, Aaliya doit faire face à une catastrophe inimaginable qui menace de faire voler sa vie en éclats. Son ton mordant ne nous laisse pas indemne.

Rabih Alameddine nous livre un roman bouleversant qui célèbre la vie singulière d’une discrète obsessionnelle et révèle la beauté et l’horreur de Beyrouth. Les Vies de papier est une déclaration d’amour à la littérature et à la façon dont elle peut nous définir.