« Encre noire » sur une mise en scène de Eric Checco

— Par Michèle Bigot —

avec Filip Calodat, Didier Andenas, Nicolas Mouen, Tania Jovial
Festival d’Avigon off 2017, Chapelle du Verbe incarné, 7=>30 juillet

« Ce spectacle est l’encre noire des hommes libres, indomptables ». Le titre place en exergue l’écriture poétique, celle de la négritude, celle qui chante la révolte et la liberté. En fait, le spectacle mêle ou fait alterner chant, danse et poésie. L’enjeu c’est de révéler l’essence commune de ces trois arts, pris dans un même élan pour chanter la vie libre. Sur le plateau viennent résonner les voix de poètes martiniquais, guadeloupéens, haïtiens et africains. C’est bien de ce passé commun de traite négrière que surgit leur chant. Mentionnons leur nom :
Antilles : Guy Tirolien, Sonny Rupaire, Patrick Rilcy, Joby Bernabe, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Edouard Glissant, Léon Gontran Damas, René Depestre.
Afrique : Léoplod Sédar Senghor, Francis Bebey, Thomas Sankara, Jean-Marie Adiaffi, Patrice Lumumba, Nelson Mandela, Camara Laye.
La gageure, c’est de fusionner théâtre et poésie. Pari réussi, à la faveur de la scénographie, du jeu des acteurs et de la danse.
L’argument, c’est l’histoire de trois hommes noirs, trois condamnés à mort pour subversion, qui viennent d’être incarcérés. La première partie de la pièce nous relate leur installation, la douleur d’être privé de liberté, l’impuissance d’écrire, le pire des châtiments pour un écrivain. La seconde partie, séparée de la première par un épisode dansé, voit les prisonniers attendre l’exécution de leur sentence. Entre les deux scènes, un épisode onirique : la femme noire vient danser le rêve de l’homme qui dort.
Sur le plateau, trois hommes (les prisonniers), une femme (la geôlière). Un dispositif scénique fait de cellules grillagées, parois de métal tressé, horizon de barreaux où s’accrocher. Devant cet espace grillagé, un demi-cercle : une table basse, des tabourets qui à l’occasion peuvent se transformer en percussion. C’est l’espace commun, celui de l’échange, voire du conflit, du jeu, de la confidence, de la mélopée, de la danse.
Entre chant créole et lamentation sur la privation de liberté, les prisonniers se soutiennent mutuellement. Le récit alterne avec la poésie. Au fond de leur désespoir, la poésie et la musique témoignent de leur humanité. La prison bloque leur inspiration mais les oblige pourtant à puiser au fond de même, en refusant toute facilité. Désormais c’est l’écriture poétique qui est investie de cette mission sacrée: faire sauter tous les cadres et les verrous. Les idiomes se mêlent, le créole dit la douce nostalgie d’enfance, la mère, la femme, le français dit l’indomptable désir de liberté.
A la faveur de la danse de le femme noire, la parole poétique se libère ;surgissent alors, en seconde partie, les plus puissants des poèmes :
« – Silence » de Jean-Marie Adiaffi, interprété par Didier Andenas
-« Femme Noire  » de Camara Laye, interprété par Fillip Calodat
– le dernier, qui est une contraction de deux poèmes : « Rage de vivre »et « poésie de révolte d’Adolphe » de René Depestre, interprété par Nicolas Mouen.

Dans cette seconde partie, rythme, chant, danse et poésie accèdent à leur plénitude : chaque art trouve sa juste place en accord avec les autres pour créer une émotion puissante. On a ici un exemple d’art lyrique où fusionnent rythme, musicalité, image et verbe. La scène théâtrale se prête à merveille à cette rencontre, pour peu que la mise en scène soit attentive à servir le sens : rien n’y est gratuit. Le jeu des comédiens sert admirablement l’entreprise : ils rivalisent de justesse et de naturel, autant dans l’élocution que dans le rythme et la danse. Leur corps délié est à l’unisson de leur diction. Admirable spectacle, qui, sans prétention démesurée, sait plaire et émouvoir.

Michèle Bigot,
Madinin’Art