— Par Emmanuel Davidenkoff —
L’école est le creuset de la nation, et non un simple dispositif de pacification sociale visant à légitimer par les diplômes la persistance des inégalités de naissance.
La question est non pas de savoir si le libéralisme fera irruption dans le secteur éducatif, mais dans quel délai et avec quelle ampleur.
Dans la plupart des secteurs où public et privé sont en concurrence prévaut un relatif équilibre : l’Etat garantit à tous les usagers l’égal accès à un service, y compris aux plus démunis, via divers dispositifs de solidarité ; ceux qui font le choix du privé paient le prix fort pour accéder à une prestation sur mesure, mais ils ne peuvent se prévaloir, en cas de problème, des garanties offertes par l’Etat ni ne bénéficient des investissements lourds que seule peut consentir la collectivité. Un domaine fait exception, et non des moindres, puisqu’il conditionne notre avenir : l’éducation et l’enseignement supérieur.
Le caractère « libre » du privé, largement théorique
Ici, la ressource privée peut être massivement mobilisée tout en continuant à profiter de la bienveillante protection de l’Etat. Le mécanisme est simple : l’offre scolaire présentant, de notoriété publique, un inégal accès aux filières les plus recherchées, ceux qui en ont les moyens les dépensent, afin de bénéficier du meilleur service pour leurs enfants. Domiciliation dans la « zone de chalandise » d’établissements recherchés. Investissement dans des activités parascolaires ou extrascolaires susceptibles d’offrir un avantage concurrentiel -cours particuliers, séjours linguistiques, etc. Recours à l’enseignement privé sous contrat (le hors-contrat demeure marginal).
Le tout sous couvert de méritocratie républicaine : à l’exception des écoles de commerce, la majorité des filières les plus prisées du supérieur sont publiques. Quant au caractère « libre » du privé, il demeure largement théorique : programmes et enseignements sont contrôlés par l’Education nationale et, surtout, le coût principal -les salaires des enseignants- est pris en charge par l’Etat, si bien que, dans la majorité des établissements de cette nature, le poste de dépense essentiel des familles consiste non pas en frais d’inscription, mais en frais de… restauration !
La France vit ainsi sous un régime où ressources et intérêts privés s’épanouissent sous le couvert du bien commun, en une fiction qui n’est pas sans évoquer celle de la défunte Union soviétique, société sans classes qui ménageait néanmoins à sa nomenklatura l’accès à des magasins réservés -les beriozka-, largement dotés en produits inaccessibles au commun des camarades. Ce dispositif contribue depuis des décennies à entériner les positions sociales acquises à la naissance, ce qui serait peut-être moins choquant s’il ne prétendait pas l’inverse à longueur de discours…
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