— Par Michèle Bigot —
Festival d’Avignon, off 2016, La Manufacture, 6-13/07/2016
Ecriture et mise en scène : Axel Cornil
Scénographie : Thomas Delord
Dramaturgie : Meryl Moens
La terre façonne les hommes. Même quand celle-ci est cachée sous la pierre, le bitume ou l’asphalte, même quand elle est meurtrie. Surtout quand elle est meurtrie.
Ce préambule, extrait du texte d’Axel Cornil, donne le ton de ce spectacle, du moins en partie, car autant le texte peut être grave et poétique pour évoquer cette région de Mons, dévastée par l’industrialisation puis la désindustrialisation, ravagée par les guerres, où la jeunesse se désespère et ne rêve que d’ailleurs, autant il peut être drôle, féroce et dérangeant.
Quatre comédiens fougueux se partagent le rôle de Pétrone, jeune homme de 25 ans aux prises avec une impossible succession. Il hérite en bloc des guerres, des mutilations, des sacrifices, des désespoirs conjugués et d’une maison en ruine. Sa famille elle-même est en ruine. Fils d’un architecte déchu du nom d’Icare, et d’une mère noyée dans l’alcool, nommée Europe, aussi dévastée que le continent du même nom. Autant dire que le réalisme le plus brutal y côtoie la dimension mythologique la plus onirique. Drôle de cocktail, à coup sûr inédit et inconfortable, mais convaincant et paradoxalement revigorant !
De rebond en rebond, la narration prend en charge la tristesse et la maladie de la mère, l’humeur sereine d’Icare, le père, pris dans d’épouvantables tempêtes morales, les cigarillos du grand-père, les sandwichs mous des enterrements ! La mort et la maladie y rodent à tous les coins de rue, et pourtant les quatre garnements qui se partagent les rôles au gré des besoins de l’histoire ne manquent pas de fougue ni d’humour dévastateur. Entre franche drôlerie et nostalgie, le texte se déploie des évocations les plus poétiques aux scènes les plus tristes. Une fraîcheur de vie emporte ce fleuve de souffrances !
La scénographie est des plus épurées : deux bâches en fond de scène, une autre sur le plateau, une table, cinq chaises, des plans d’architecte et quelques bouteilles de porto. La maison de famille est en chantier et les entrepreneurs désespèrent d’en tirer quelque chose. Vaste métaphore de cette région abandonnée et des vies dévastées qui s’y accrochent !
La direction d’acteurs est menée comme un chœur : les quatre garnements s’en donnent à cœur joie : malicieux, nostalgiques, boudeurs, bondissants, délirants, gouailleurs, patoisants, impertinents ! La théâtralité est ici une matière brute travaillée par un son volontiers hurlant, une langue brute usant du patois borain mais alternant avec des bouffées lyriques, un jeu des lumières crues mais dispensées avec adresse.
Ce mélange de tons et de registres, cette recherche quasi rimbaldienne d’une écriture neuve, cette écriture scénique ébouriffante nous arrache au confort des productions formatées et nous rappelle que la jeunesse en a sous le pied !