Die dingen die voorbijgaan, pièce adpatée de la nouvelle que Louis Couperaus écrivit en 1904 alors qu’il résidait à Nice, restitue avec une justesse confondante le climat moral sombre et angoissant dans lequel évolue la bourgeoise puritaine de La Haye, dans des familes fortunées organisées en clans, dont une partie réside en Inde. L’omniprésence de l’angoisse de mort, l’obsession du vieillissement, de la flétrissure du corps et la présence obsessionnelle du sexe et de toutes ses perversions y rendent l’atmosphère étouffante et propice à tous les débordements, à tous les crimes et aux assauts de la culpabilité.
C’est cette ambiance noire que s’ingénie à restituer la mise en scène d’Ivo Van Hove, où la couleur noire affecte tous les habits (à l’exception d’un seul personnage, l’italien, vêtu de blanc), le sol, les images dans le miroir et même la neige. Tout, les actes, les sentiments, le décor respire la mélancolie, l’angoisse et l’approche inéluctable de la mort. Il n’est pas jusqu’au sexe le plus exubérant (scène ambiguë des amants jouant à recouvrir leur corps de crème chantilly) qui ne soit teinté de cette tristesse et de ce fond de désespoir. Voilà un univers où l’homme ne peut connaître aucune joie pure: tout le monde est coupable, le sens du péché salit la vie de son humeur fuligineuse. Les corps souffrants, les âmes enténébrées, tout pousse au crime car la vie penche dangereusement vers la mort.
Ajoutons à cela que le crime passionnel qui fait le centre de l’intrigue est l’objet d’un secret de famille comme peuvent en connaître les familles les plus conformistes. On étouffe dans un tel climat, que le metteur en scène néerlandais connaît et restitue à merveille. Le crime passionnel c’est « La chose » qui hante tous les esprits même et surtout si personne ne veut en parler. Dès lors, la scène de théâtre possède tous les atouts pour démonter ce mécanisme funeste, parce qu’elle est l’arène où se joue le drame de la parole triomphante. Tout parle au théâtre, les voix, les corps, le décor, tout dénonce le complot du conformisme puritain.
L’occupation de l’espace scénique est régie par un dispositif bifrontal de chaises occupées tout à tour par les membres du clan, avec au centre les chaises des deux vieux amants meurtriers qui aprochent de la mort. Un ballet s’organise autour de ces corps usés et flétris des amants dont la conversation n’est qu’un long ressassement de leur crime. La culpabilité les habite depuis soixante ans, c’est là leur unique châtiement, mais le crime a entamé et pourri leurs descendants en dépit du secret.
Aucun des enfants ni des petits-enfants n’échappe à la malédiction de de l’acte accompli par leurs parents; personne ne connaîtra la joie ni le bonheur. Dès lors, on ne parle que de crime, et d’argent. On se dispute, on se jalouse, on se hait, on se déchire dans un accablement généralisé.
On aura compris que la mise en scène, magnifique à tous égards, laisse le spectateur pantois et quelque peu hagard, heureux de retrouver la lumière du sud et les cigales que les personnages de Couperus recherchent désespérément.
Michèle Bigot