— Par Selim Lander —
C’est paradoxal mais c’est ainsi : Il n’est pas si facile de voir sur « la plus grande scène de théâtre du monde » une « vraie » pièce écrite pour le théâtre dans les règles de l’art, pas un seul en scène, pas un texte adapté d’un roman ou d’un journal intime, pas un spectacle poétique ou musical ou de cirque. Les festivaliers ont dû s’habituer à ces nouvelles formes qui comportent, bien sûr, leur part de réussite mais enfin les amateurs du « vrai théâtre » ont de quoi se sentir frustrés. Aussi se réjouissait-on à l’avance de découvrir, au Verbe incarné, la pièce de G. Peau qui se situe dans le monde des agences de sécurité dont les employés mettent leurs « corps en obstacle ».
Dès l’entrée dans la salle, on pressent qu’il va se passer quelque chose d’intéressant. A jardin, un bureau, une table plutôt, chargée de quelques dossiers ; à cour, des instruments de salle de sport, un banc pour le développé-couché, un sac de frappe pour boxeurs, quelques haltères. Le patron de la boite, comme on l’apprendra bientôt, est un ancien boxeur amateur qui tient à l’entraînement sportif de son personnel. On apprendra tout aussitôt qu’il est divorcé, désargenté et qu’il est urgent pour lui de faire grossir sa boite. C’est pourquoi, malgré ses scrupules, il se résout à embaucher des migrants, ces derniers ayant prouvé leur ténacité et leur courage en parvenant au bout du voyage. Nous en verrons deux, Joseph et Moussa qui se joindront à l’équipe déjà formée par Cédric, le patron, Samira, avocate fiscaliste qui a entrepris de le coacher (et l’on saura plus tard la vraie raison de sa présence), enfin « L’Argentin », le bras-droit du patron, ex repris de justice qui n’a pas le droit d’exercer le métier d’agent de sécurité et dont la présence comme le surnom s’expliqueront également plus tard. Joseph et Moussa sont érythréens. Le premier est un lettré qui, dans ses moments de solitude, philosophe devant un chien imaginaire. Le second, ex militaire, apprend encore le français en arrivant mais ses progrès, pendant la durée de la pièce, seront rapides.
Il serait malséant d’en dire davantage mais on voit tout de suite qu’on tient là les ingrédients d’une bonne pièce ancrée dans la réalité d’aujourd’hui. Les cinq comédiens sont tous crédibles avec une mention particulière pour David Seigneur, impressionnant en patron de gauche-entraîneur sportif. Les échanges de mots et de coups, un interlocuteur frappant les « pattes d’ours » de l’autre comme à l’entraînement sont une idée de m.e.s. qui … fait mouche !
Le corps en obstacle brasse plusieurs thèmes : la sécurité, les migrants, les travailleurs clandestins, le racisme, les combats entre fafs at anti-fafs, autant de sujets de réflexion pour les spectateurs. L’introduction de ces divers thèmes au fil de l’histoire est bien menée jusqu’à la fin, laquelle déçoit un peu, entre drame et happy end. Et l’on perçoit mal la justification de la reprise in extremis du premier tableau (la marche des deux migrants).
Compagnie « Cousin d’Edgar ». Texte et m.e.s. Gaëtan Peau.