— Par Selim Lander —
Trahisons
Sans doute la pièce la plus célèbre d’Harold Pinter. En tout cas la plus souvent représentée en Avignon. Et l’on ne se lasse pas de la revoir, tant elle met en évidence le génie quasi diabolique de Pinter lorsqu’il s’agit de bâtir une intrigue. Il faut ajouter, ce qui est tout aussi essentiel, que les comédiens s’y montrent en général inspirés. C’est incontestablement le cas dans la version mise en scène par Christophe Gand au théâtre Buffon. Les trois comédiens principaux qu’il serait dommage de ne pas citer – Gaëlle Billaut-Danno, François Feroleto et Yannick Laurent – sont parfaitement à l’aise dans des personnages complexes qui se trahissent à qui mieux mieux – comme le titre l’indique suffisamment – non sans garder toujours un flegme et une élégance très british. Il ne faut surtout pas dévoiler les méandres de cette histoire tant le spectateur prend de plaisir à les découvrir. Disons simplement qu’il s’agit d’adultère entre gens de très bonne compagnie appartenant au milieu de l’édition. La scénographie utilise des meubles à transformation (le lit qui devient étagère, le bar cheminée) qui sont manipulés entre chaque scène par un Vincent Arfa virevoltant (il endosse également, à un moment, la livrée d’un garçon de restaurant italien).
Cette production est une nouvelle occasion de rappeler l’importance du texte au théâtre. Revisiter une bonne pièce apporte les meilleures chances de succès. Il est étrange que tant de metteurs en scène refusent de monter les meilleurs textes du répertoire, comme si c’était déchoir que de se mettre au service d’un auteur, et préfèrent bricoler eux-mêmes quelque chose, soit qu’ils écrivent un texte ex nihilo, soit qu’ils adaptent un texte qui n’était pas destiné au théâtre, soit qu’ils aient recours à une forme ou une autre d’écriture de plateau. Bien que ces pratiquent ne soient pas fatalement contraires au succès et si certains hommes de théâtre sont même des auteurs très talentueux, écrire et mettre en scène réclament des qualités très différentes.
« Le Coq héron »
Zorba
Encore une fois, il ne saurait être question de condamner toutes les tentatives des metteurs en scène qui – d’une manière ou d’une autre – écrivent leurs pièces. Une preuve éclatante que le succès est possible est donnée par Eric Bouvron qui vient d’adapter pour le théâtre le roman Alexis Zorba de Nicos Kazantzakis, s’est chargé de surcroît de la mise en scène et a gardé pour lui le rôle du patron de Zorba. Tout cela avec une réussite évidente. Passé à sa moulinette, le roman devient une vraie œuvre théâtrale avec des surprises, des moments pour rire, d’autres pour l’émotion. Il faut dire qu’E. Bouvron n’en était pas à son coup d’essai et que sa précédente création, Les Cavaliers (d’après Joseph Kessel), a reçu le Molière du théâtre privé en 2016. La distribution de Zorba comprend trois comédiens, deux comédiennes et une musicienne à la guitare. Sans vouloir les citer tous, on dira le plaisir d’avoir retrouvé Isabelle Andréani (qu’on a souvent déjà vue se produire avec son compère Xavier Lemaire et qui interprète cette année en solo, parallèlement à Zorba, Un cœur simple de Flaubert) et surtout d’avoir découvert une personnalité exceptionnelle, Moussa Maaskri, une présence à la Raimu (en plus leste) qui joue Zorba avec tout la vitalité, la profondeur et la sensibilité qu’il faut. Après avoir vu la pièce, on n’imaginerait personne d’autre que lui dans ce rôle. La M.E.S. d’E. Bouvron ne manque pas d’astuce avec, par exemple, un comédien qui juché sur une chaise, une plume rouge plantée dans son veston, campe un perroquet plus vrai que nature, ou trois chaises raclées sur le plancher pour évoquer le bruit des vagues. En un mot comme en cent, le Zorba de Kazantzakis-Bouvron est une vraie réussite.
« Atelier Théâtre Actuel »