— Par Selim Lander —
Adieu Monsieur Haffmann de Jean-Philippe Daguerre
On ne saurait rêver de mieux découvrir cette nouvelle édition du festival d’Avignon que par la pièce de Jean-Philippe Daguerre, véritable bijou de théâtre. Et c’est le cas de le dire puisque Adieu Monsieur Haffmann se déroule dans une bijouterie, plus précisément tantôt dans l’appartement des propriétaires, au-dessus, tantôt à la cave, au-dessous. L’argument peut paraître quelque peu scabreux. Pendant la deuxième guerre mondiale, un bijoutier juif, Joseph Haffmann, échange les rôles avec son employé, Pierre Vigneau. L’entreprise apparaîtra ainsi officiellement aryanisée tandis que son propriétaire se cachera à la cave. L’employé, cependant, pose une condition : comme, atteint de stérilité, il est dans l’incapacité de donner à sa femme l’enfant qu’elle désire, il demande à son ex-patron, déjà père de deux enfants (réfugiés en Suisse avec leur mère) de mettre sa femme enceinte !
On imagine aisément ce que certains amuseurs professionnels feraient d’un sujet pareil. La pièce de J.-Ph. Daguerre est tout le contraire : aucune vulgarité, des sentiments pleins de pudeur et de délicatesse, ce qui n’empêche pas aux douleurs de s’exprimer. Il faut dire d’abord – même si l’on ne dévoilera pas l’intrigue, bien sûr – que la pièce est superbement construite avec une fin parfaitement bien amenée, même si le spectateur ne la prévoit pas. Joseph, Pierre et sa femme Isabelle jouent à trois pendant la plus grande partie de la pièce. Tout à fait à la fin apparaissent deux personnages supplémentaires, l’ambassadeur d’Allemagne, Otto Abetz et son épouse qui se sont fait inviter chez Jean Vernieau. S’en suit un dîner d’anthologie (théâtrale).
Dialogues ciselés, émotion, humour. Tout cela qui concourt également au succès de la pièce ne serait rien sans l’interprétation servie par des comédiens brillantissimes (parmi lesquels Grégori Baquet, l’interprète de Pierre, a reçu le Molière de la révélation masculine en 2014 mais les quatre autres ne déparent pas la distribution, loin de là) et la mise en scène de l’auteur dans un décor sobre mais particulièrement efficace, compte tenu des lieux différents où se déroulent les scènes.
Das Leben des Herrn de Molière d’après Mikhaïl Boulgakov
Le vaste bâtiment en forme de rotonde du parc des expositions d’Avignon est occupé par une production de la Volksbühne am Rosa-Luxemburg Platz de Berlin, d’après deux pièces de Boulgakov, La Vie de M. de Molière et La Cabale des dévots. « D’après » est le mot important car le metteur en scène, Frank Castorf, s’autorise toutes les licences. 5h45 de spectacle en allemand surtitré ou, plus rarement, en français, pour un spectacle où les longueurs l’emportent de beaucoup sur les bons – parfois excellents – moments : c’est beaucoup (trop) !
Car F. Castorf n’a pas pu s’empêcher d’ajouter au spectacle les affres d’un metteur en scène d’aujourd’hui cherchant à monter un film, avec les inévitables disputes avec le producteur, les comédiens. Il a encore introduit d’autres éléments n’ayant rien à voir avec Molière, comme les démêlés de Boulgakov avec Staline ou un extrait de Phèdre (de Racine) interprété sur un mode parodique, particulièrement pénible.
Il faut quand même parler de ce qu’il y a de bien dans la pièce. L’espace de l’immense rotonde est quasiment vide, les gradins n’en occupant qu’une petite partie. Sur cette scène démesurée sont posés trois beaux éléments de décor, une calèche servant de scène ambulante, un tente salon et une tente entourée d’une balustrade et surmontée d’un soleil siglé Versace (!) abritant la couche royale. Le roi est un personnage particulièrement savoureux, mollement couché et tirant sans cesse sur une cigarette électronique. La scène pendant laquelle il s’entretient avec le cardinal de Paris (qu’il enfume copieusement) venu demander l’interdiction du Tartuffe et qui – la scène – se transforme en un extrait du Bourgeois Gentilhomme (la scène des voyelles) est un grand moment. Ici, la vidéo trouve toute sa raison d’être qui nous montre en gros plan les deux personnages grimaçant à qui mieux mieux.
Pour le reste, le surjeu des comédiens est le plus souvent insupportable. Et, comme on l’a déjà laissé engendre, les digressions sur le film soi-disant en train de se faire sont d’une platitude désolante. Beaucoup de bruit pour rien !