— Par Selim Lander —
Wikileaks
Dernier spectacle du IN en ce qui nous concerne, Pale Blue Dot est consacré à « l’affaire Wikileaks ». Du théâtre documentaire solide, concocté (texte et m.e.s.) par Etienne Gaudillère, jeune comédien qui a créé sa compagnie « Y » en 2015 avant de monter Pale Blue Dot l’année suivante. Le titre serait tiré de la description de la terre vue par la sonde Voyager à quelques milliers de kilomètres : un point bleu pâle. Disons alors que la pièce est un zoom sur quelques individus qui voulaient « changer le monde » (au sens de notre petite terre perdue dans l’univers), à commencer par Julien Assange, fondateur de Wikileaks à la personnalité très affirmée, toujours confiné dans l’ambassade d’Equateur à Londres et le soldat Bradley (devenu Chelsea) Manning qui a approvisionné Wikileaks avec des « tonnes » de documents très compromettants pour l’armée et l’administration américaines.
Le sujet se prête au théâtre. Au théâtre d’aujourd’hui, avec la projection de la vidéo (on ne peut plus réelle) Collateral Murder qui montre l’assassinat à distance de civils irakiens par les soldats américains sur la vague suspicion (erronée : la vision sur un petit écran en noir et blanc par l’intermédiaire de caméras à longue distance étant tout sauf précise) qu’ils transportaient des armes, puis, pour mettre le comble à l’horreur le tir sur la voiture venue ramasser un blessé, qui contenait des enfants…Sur l’écran s’inscrivent également des échanges « Messenger » entre Manning et un correspondant auquel il fait part de ses états d’âme… Et au théâtre tout court avec des dialogues au sein de Wikileaks, entre Assange et les journalistes qui l’aideront à divulguer ses informations et, de l’autre côté, entre des membres de l’administration américaine. Une comédienne incarne Hilary Clinton, laquelle, du temps où elle était la secrétaire d’Etat d’Obama a prononcé des discours passablement contradictoires sur la liberté d’expression.
Des bureaux, ceux du ministre américain de la Défense, d’Assange, de ses collaborateurs sont déplacés sur le plateau au fur et à mesure du déroulement de l’histoire. Quatre panneaux deviennent une pièce fermée dans laquelle Assange reçoit les journalistes qui préparent avec lui la bombe Wikileaks.
Tout cela est fort bien représenté par onze comédiens. On se demande un peu – si l’on a passé un certain âge – à quoi riment les incursions soudaines d’une musique tonitruante : sans doute une concession à la jeunesse d’aujourd’hui qui semble avoir besoin pour exister de ce bruit à d’autres oreilles insupportables qu’elle qualifie de musique.
C’est un détail. Il importe davantage qu’on sorte de Pale Blue Dot convaincu de la résilience du « Système ». Que l’on sache, en effet, Wikileaks n’a pas empêché les Américains (et d’autres) de se mêler de la guerre en Syrie et, plus près de nous, les Panama Papers n’ont pas conduit à l’éradication des paradis fiscaux, y compris au sein de l’Europe (Irlande, Luxembourg, etc.). On est d’autant plus admiratif face aux lanceurs d’alerte et autre Assange qui se battent pour qu’éclate la vérité, puisque c’est quand même la condition première – à défaut d’être suffisante – de la moralisation de la vie publique.