— Par Selim Lander —
Après Hope qui nous a laissé avec un coup dans l’estomac, le film de Jean-Jacques Zilbermann se déploie dans une atmosphère plus sereine. Le sujet, pourtant, n’est pas fait a priori pour porter à l’optimisme puisqu’il s’agit de l’histoire de trois jeunes femmes rescapées d’Auschwitz. Mais, justement, elles sont des rescapées et leur histoire prouve que, parfois, la vie peut être plus forte que la mort. Si leur séjour au pays des ombres les plus maléfiques, celles du camp d’extermination nazi, leur a laissé bien des séquelles, tant morales que physiques – comment en aurait-il été autrement ? – elles sont assez fortes pour trouver chacune une sorte d’équilibre, nullement parfait, suffisant néanmoins pour rencontrer parfois le bonheur. Leurs retrouvailles, quinze ans après leur libération et la séparation qui s’ensuivit, les aideront à se reconstruire.
Trois femmes, donc, qui, en 1960, ne sont plus vraiment des jeunes femmes : Hélène, la Française, Lili, la Néerlandaise et Rose, la Néocanadienne. Trois juives, trois victimes de la barbarie. Après un prologue qui reconstitue la fin du camp et la « marche de la mort », le film suit d’abord Hélène à son retour à Paris, sa réadaptation à la vie normale. Elle retrouve des amis, des communistes, elle reprend son métier de couturière. Elle retrouve également Henri et l’épouse – « parce qu’elle n’a jamais aimé que lui » – alors même qu’il ne peut plus « aller avec une femme » après les tortures subies pendant la guerre. Quinze ans plus tard, ce sont d’autres retrouvailles, à Berck Plage, dans un appartement prêté par un ami postier et communiste, avec les deux amies d’Auschwitz. C’est à Berck Plage qu’Hélène, poussée par ses deux amies, découvrira l’amour charnel dans les bras de Pierre, plagiste enthousiaste. C’est encore à Berck que Lili, religieuse austère qui voudrait faire évoluer le judaïsme et devenir « rabine », et qui se reproche encore un acte commis à Auschwitz pourtant pour la bonne cause, comme Rose, inconsolable depuis qu’elle a abandonné – pour sauver sa peau à elle – son bébé dans le wagon qui la conduisait au camp[i], commenceront à se débarrasser de leur culpabilité.
Les interprètes sont formidables, à commencer par Julie Depardieu dans le rôle d’Hélène. Petite flamme fragile qui risque sans cesse de s’éteindre, d’une minceur presque maladive, elle « est » cette rescapée des camps qui exprime la timide envie de vivre de son personnage. Les autres sont à l’avenant : Johanna ter Steege (Lili), Suzanne Clément (Rose), Hippolyte Girardot (Henri), Benjamin Wangermee (Pierre) et d’autres encore, bien que moins présents à l’écran.
Jean-Jacques Zilbermann a mis beaucoup de lui dans À la vie, comme dans son premier film, Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents communistes (1993), ou dans Les Fautes d’orthographe (2003). Il a été lui-même postier, comme l’un des personnages de À la vie, lequel film est dédié à trois rescapées des camps dont l’une qui est un membre de sa famille. Le metteur en scène fait preuve d’une empathie évidente avec ses personnages, qui n’est pas pour rien dans la sympathie que nous éprouvons pour eux.
Enfin, tous les spectateurs âgés se régaleront du soin apporté à la reconstitution du Paris de l’immédiat après guerre et de la France balnéaire au début des années (19)60. Les nostalgiques des automobiles anciennes seront comblés, même si, comme dans tous les films « d’époque », les voitures issues de collections sont toutes rutilantes, ce qui n’était évidemment pas le cas lorsqu’elles étaient réellement utilisées.
Un film présenté par l’EPCC Martinique à Madiana, le 25 mars 2015.
[i] Exemple type de calcul utilitariste. Rose se trouvait face à l’alternative suivante : soit elle gardait son bébé et, à ce moment-là, elle était orientée directement, avec le bébé, vers le four crématoire (bilan deux morts) ; soit elle abandonnait le bébé et, en tant que jeune femme vigoureuse, était orientée vers le camp de travail (bilan un mort sûr, le bébé, mais une chance de survie pour elle). La deuxième branche de l’alternative dégageant un résultat supérieur en termes de vie humaine et de bonheur potentiel, Rose a eu raison, selon la morale utilitariste, d’abandonner son bébé. Mais avoir la raison pour soi ne dispense évidemment pas de toute souffrance.